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Matrone et Domina : Tullia, une patricienne hypersexuelle dans la Rome impériale (42) : « Les délices du genre humain »

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Lue : 0 fois - Commentaire(s) : 8 - Histoire postée le 31/07/2023

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AVERTISSEMENT

L’objet de ce chapitre est de raconter un moment de la vie de Tullia, pas en détail l’éruption du Vésuve de 79, qui détruisit Pompéi. Pour ceux et celles que cela intéresse, je leur recommande les ouvrages suivants :
• Pompéi : Le rêve sous les ruines (Presses de la Cité, 1992). Cet ouvrage regroupe 14 textes et romans sur le destin de Pompéi, dont le célèbre « Les Derniers jours de Pompéi » (1834) d’Edward-George Bulwer Lytton
• Marie Beard : Pompéi, la vie d’une cité romaine (Seuil, 2012)
• Alberto Angela : Les trois jours de Pompéi (Payot, 2017)
• Massimo Osanna : Les Nouvelles heures de Pompéi (Flammarion, 2019)
• Jean-Noël Robert : Pompéi et la Campanie antique (Les Belles Lettres, 2020)

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RESUME

Lors de son avènement à l’empire, à la mort de son père Vespasien, en 79, Titus renonce à son mariage avec la princesse juive Bérénice et éloigne sa maitresse de longue date, Tullia, patricienne hypersexuelle, mettant fin au triangle amoureux qui unissait les trois amants depuis des années. La séparation avec Bérénice est une terrible épreuve pour Tullia, les deux femmes étant très amoureuses l’une de l’autre.

La venue de l’empereur à Baïes permet de sortir Tullia de sa crise profonde. Les deux amants renouent discrètement, Titus promettant à Tullia le mariage « dès que possible ».

Le court règne de Titus, marqué par les drames et les catastrophes, va bouleverser ces projets. Le premier de ces évènements dramatiques fut l’éruption du Vésuve, le 24 octobre 79.

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Cette éruption fut précédée le 5 février 62 par un puissant séisme qui provoqua des dégâts considérables autour de la baie de Naples, et notamment à Pompéi. Un autre séisme, de moindre ampleur, survint en 64, le jour où Néron se produisait pour la première fois dans un théâtre public à Naples. Nous avons vu que la villa de Tullia à Baïes avait subi d’important dégâts à la suite du tremblement de terre de 62 (voir chapitre 33 « rencontre au forum d’Auguste »). Les réparations n’étaient pas achevées lorsque Tullia fut contrainte à l’exil, en 65, pour échapper à la folie meurtrière de Néron. Cela ne l’avait empêché d’être l’évergète du nouveau ludus de Pompéi, pour venir en aide à son ami Sabinus, ancien amant de Messaline, devenu laniste dans cette ville (voir chapitre 25 : « Les Aphrodisies »). Une autre école plus importante que la précédente est donc construite à Pompéi, derrière le théâtre. Cet édifice, comptant 70 petites cellules pouvant loger deux gladiateurs chacune, permet d'accueillir 140 combattants. Une série de pièces sert aux cuisines, à l'infirmerie et à l'entretien des armes. Sabinus, âgé et malade, avait récemment vendu son ludus à un certain Numerius Festus Ampliatus, dont le nom a été identifié lors des fouilles archéologiques de Pompéi.
Pourtant, certains des dommages causés en 62 n'ont pas encore été réparés lors de l'éruption du volcan. Les Romains s'étaient habitués aux petits séismes de la région, comme il s’en produisit un, quatre jours avant l’éruption. D'autres signes prémonitoires se manifestent les jours précédents :

• Les puits se tarissent, les eaux de la nappe phréatique étant « pompées » par le volcan. ;
• Les fontaines sont vides et les thermes fermés en raison des éboulements entraînant des brèches et l'effondrement d'une partie de l'aqueduc d’Auguste. Celui-ci, d’une longueur de 140 kilomètres, alimente les villes du bassin de Naples, de Pompéi à Baïes et se termine au port de Misène, dans la « piscina mirabilis », un réservoir de 12.600 mètres cubes.

La population ne reconnait pas ces signes précurseurs. Les habitants ignorent que le Vésuve est un volcan. Pour eux, il est une montagne et sur ses pentes poussent des vignes. Les Grecs appelaient la Campanie « Œnotrie », le pays des vignes. Spartacus et ses gladiateurs révoltés s’étaient d’ailleurs réfugiés sur le Vésuve, pour échapper à leurs poursuivants.

L’éruption débuta dans la matinée du 24 octobre et, dès l’après-midi, le panache éruptif en forme de pin-parasol est visible depuis Baïes et Misène, à 32 kilomètres de Pompéi. L’éruption du Vésuve dura de dix-huit à vingt heures. Dans une première phase, il pleut, au sud du cône, des ponces qui s'accumulent pour atteindre une épaisseur de 2,8 mètres à Pompéi, entrainant l’effondrement des toitures des bâtiments où se sont réfugiés les habitants.

Au cours de la nuit et au début du jour suivant, le 25, la colonne éruptive s'effondra à six reprises en coulées pyroclastiques, ou nuées ardentes, qui déferlent sur Herculanum. Dans une seconde phase, des coulées pyroclastiques, rapides, denses et très chaudes, abattirent en tout ou en partie l'ensemble des constructions sur leur passage, brûlèrent ou asphyxièrent la population restante et modifièrent le paysage, y compris le trait de côte. Elles s'accompagnèrent de nouveaux tremblements de terre légers et d'un petit tsunami dans la baie de Naples. Deux coulées pyroclastiques enveloppèrent Pompéi, brulant et asphyxiant les traînards. Elles touchèrent Oplontis et Herculanum, les enterrant sous de fines cendres, de la lave et des dépôts pyroclastiques. La population environnante, même celle de Misène et de Baïes, prit la fuite. Se souvenant des conditions du Grand Incendie de Rome, Tullia choisit de rester dans sa villa, se réfugiant dans les jardins, du fait des secousses. Elle laissa libres de leur choix ses esclaves et serviteurs, qui, dans leur immense majorité, firent confiance à la Domina. La nuit suivante, une violente secousse les incita à rester dans la cour de la maison et les jardins.


Pline l’ancien, ami de Titus et préfet de la flotte de Misène, décida d'étudier le phénomène de près, dans un bateau léger. Au sortir de sa demeure, il reçut une demande de secours d'une amie, Rectina, et ordonna le lancement immédiat de quadrirèmes pour évacuer la population de la côte. Il monta à bord de l'une d'elles, traversa la baie, mais à l'approche du rivage, les bateaux recurent une pluie dense de cendres chaudes, de la pierre ponce et des cailloux, et un bas-fond et des rochers effondrés obstruant le chemin. Pline ordonna à son pilote de poursuivre jusqu'à la maison de son ami Pomponianus à Stabies. C’est le lendemain que périt l’amiral, après avoir inhalé des gaz toxiques.

Compte tenu de l’ancienneté de leur amitié, cette perte est douloureusement ressentie par Titus, abasourdi par cette catastrophe et son bilan humain et matériel. Il est aussi très inquiet pour Tullia dont il n’a, pendant plusieurs jours, plus aucune nouvelle. Outre Pline l’ancien, une autre victime célèbre fut Agrippa, le fils de Drusilla et d’Antonius Felix, ancien procurateur de Judée, de 52 à 60. Felix était le frère de Pallas, l’un des grands affranchis de Claude et amant d’Agrippine. Quant à Drusilla, sœur cadette de Bérénice, elle fit scandale par son mariage avec un notable romain, fut-il un affranchi. Les deux sœurs ne s’apprécient guère, Drusilla pouvant se targuer d’avoir réussi là où Bérénice a échoué. Tullia le sait, mais ne manque pas l’occasion d’informer son ex-amante de ces événements.

Dès qu’il a connaissance de la catastrophe, Titus se rend sur place. Le bilan est terrible, avec des milliers de morts, enfouis sous les cendres et la lave. Il y a de nombreux réfugiés. Les côtes sont méconnaissables : la terre a avancé dans la mer de plusieurs kilomètres. Les villes de Pompéi, Herculanum, Stabies, Oplontis, où se trouvait la fameuse villa de Poppée, sont entièrement détruites. Aux lendemains de cette catastrophe, il ne reste que peu de choses de cette Campanie heureuse chantée par les poètes. Voici ce qu’en dit le poète Martial (Epigrammes, IV, 44), ami de Tullia, pleurant le mont Vésuve « hier encore verdoyant et ombragé de pampres. Tout a sombré dans les flammes ; une lugubre cendre couvre le sol, les Dieux eux-mêmes eurent voulu que cela ne soit pas permis. » Titus prend ses responsabilités : il crée un fonds pour aider les survivants et nomme une commission gouvernementale, présidée par les consuls suffect Lucius Junius Caesennius Paetus et Publius Calvisius Ruso. La commission a pour rôle de superviser les secours aux sinistrés, de verser aux rescapés des subventions et de restaurer les zones détruites. Titus décide d’octroyer aux victimes les biens de ceux qui ont péri sans laisser d’héritier. À la différence de ses prédécesseurs et notamment Néron après le grand incendie de Rome : ceux-ci, dans des circonstances semblables, s’étaient approprié les biens des victimes. Les Romains ne pouvaient pas prévoir cette éruption volcanique, mais ils ont réagi. Titus aide les survivants à s’établir dans la baie de Naples car il comprend, après sa visite sur place, que reconstruire des villes enfouis sous des mètres de sédiments volcaniques, est impossible. La seule exception sera Stabies.

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Titus profite de son séjour en Campanie pour passer plusieurs jours auprès de Tullia, ayant été rassurée sur son sort après plusieurs jours d’incertitude. La colère du Vésuve, a menacé Baïes ainsi que Puteoli et Misène. Elle les a finalement épargnés, non sans causer des dégâts. Tullia raconte à Titus ces deux jours d’angoisse, corroborant ce qu’en dira Pline le jeune, resté, lui, à Misène. Les premières lueurs du second jour étaient obscurcies par une nuée sombre, percée de traînées de flammes. La pointe de Misène, toute proche, et l'île de Capri, de l'autre côté de la baie n’étaient pas visibles. La cendre était dense et abondante. Puis la cendre cessa de tomber, et le soleil reparut, jaunâtre comme lors d'éclipses. Tout était recouvert d'une cendre abondante semblable à une couche de neige. Les dommages causés par les séismes et le tsunami à Misène, à Baïes et à Puteoli ne sont toutefois pas aussi graves que lors des précédents séismes et de la tempête de 65. Pour Titus, superstitieux comme tous les Romains, les Dieux ont protégé Tullia. Cela renforce sa volonté sincère d’officialiser leurs liens, elle qu’il considère depuis longtemps comme sa femme. Accaparé par le soutien aux victimes de l’éruption, il remet son bonheur personnel à plus tard. Il ne sait pas que d’autres malheurs vont frapper.

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En 80, Rome subit à nouveau un grand incendie qui dure trois jours et qui dévore de nombreux monuments, entre autres le Capitole, le Panthéon, le théâtre de Pompée, les Thermes d'Agrippa. Le plan d'urbanisme et les règles de construction, décidées par Néron après la grande catastrophe de 64, ont toutefois permis de limiter le nombre de victimes et les dégâts, qui sont néanmoins importants. Néron avait en effet imposé après 64 l’élargissement des voies de communication, l’alignement des immeubles, la réglementation de la hauteur et de la mitoyenneté des édifices ainsi que du choix des matériaux de construction. Avec le recul, Titus peut remercier celui qui fut pourtant accusé d’être un incendiaire. La meilleure organisation des vigiles a permis de maîtriser l’incendie en trois jours, contre près d’une semaine seize ans auparavant, alors que la moitié de la ville a été touchée.

Rome est ensuite frappée par une épidémie de peste, qui cause la mort de milliers de personnes. Titus, là encore, fait preuve de sang-froid. Il met en place l’aide aux malades, fait évacuer les cadavres et intervient, en personne, pour secourir la population, n’hésitant pas à s’exposer, en venant sur place réconforter les rescapés.

Au Sénat, Caius, le fils de Tullia, en bon courtisan, fait un éloge vibrant de Titus, qui dit-il, « apporte la sollicitude d’un empereur et la tendresse d’un père ». Il est vrai que le sénateur Caius Spurius Tullius est très ambitieux. Lui qui était si hostile à sa mère et n’avait pas de mots assez durs sur son inconduite, pousse désormais celle-ci à hâter son mariage. Caius, qui a 33 ans, rêve en fait de devenir le fils adoptif de l’empereur. Tullia lui répond que Titus a bien d’autres soucis pour le moment, qu’elle ne veut rien précipiter, se considérant, depuis toujours, comme la femme de Titus. Titus aime les enfants de Tullia et apprécie le soutien de Caius. Mais, dans le même temps, Titus favorise la carrière d’un autre homme prometteur, Marcus Ulpius Traianus, Trajan, le fils de son ami Marcus, qui est âgé de 26 ans au début du règne. Le jeune Trajan a bénéficié d’une éducation soignée qui comprend, au-delà de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture du grec et du latin, la grammaire et la rhétorique. Son maître est son compatriote Quintilien. Il a accompagné son père comme légat dans la province d’Asie à la tête de laquelle ce dernier est nommé proconsul. Titus le nommera questeur pour l’année 81. Malgré des drames répétés, Titus s’efforce de diriger l’empire avec la plus grande mansuétude. La conjonction entre ces événements dramatiques et l’attention, généreuse et dévouée, prodiguée par Titus aux personnes éprouvées, combinée avec son changement total de conduite, explique son immense popularité. Titus espère que le temps des épreuves se termine et qu’il va pouvoir enfin penser à son bonheur personnel et concrétiser sa promesse, faire ce que Tullia et lui attendent depuis si longtemps : se marier, officialiser leurs liens.

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Titus n’a plus qu’un seul opposant, mais de taille, son frère Domitien. Le fils cadet de Vespasien, Titus Flavius Domitianus a 28 ans à l’avènement de son frère. La jeunesse de Domitien se déroule dans l'ombre de son frère Titus qui gagne en renommée militaire durant la guerre judéo-romaine puis qui se voit confier d'importantes fonctions sous le règne de leur père Vespasien. Jaloux de Titus, Domitien le déteste hautement. Ne possédant ni son charisme, ni la gloire que Titus a gagnée au combat, Domitien colporte des rumeurs, s'essaie à des complots, achète des soldats. Titus refuse néanmoins de l'exiler ou seulement de l'écarter de la cour, essayant vainement de se réconcilier avec son héritier.

Domitien n’avait jamais cessé de dénigrer Caenis, la concubine de son père. Sa cible prioritaire est désormais celle qu’il appelle « la putain de Baïes », à savoir Tullia, la concubine, qui doit devenir l’impératrice. Sournois et haineux, Domitien récupère le rapport qu’avait établi en 57, à la demande de Vespasien, Caenis, en vue d’empêcher le mariage de Titus et Tullia (voir Chapitre 30 : « le Mulio ») Domitien va employer une petite armée d’espions pour mettre à jour la légende noire de Tullia, document à charge, qui, nous le verrons, finira entre les mains de Juvenal. Tullia tente d’abord de se réconcilier avec Domitien. A l’occasion de sa venue à Baïes, elle déploie tous les fastes et tout le charme dont elle capable. Femme mure, Tullia est toujours aussi séduisante. Elle a en commun avec Domitien son amour des arts et de la littérature. Tullia a choisi de porter une robe qui exhibe son corps toujours magnifique, son décolleté, ses longues jambes. Elle est sûre de son effet. Domitien donne une impression de vigueur physique et rappelle la beauté de Titus, mais aussi la calvitie de Vespasien.

Tullia est prête à tout pour défendre les intérêts de Titus, y compris baiser avec Domitien, qui a la réputation d’être un débauché. Domitien l’accusera d’avoir tenté de le séduire et de s’être offerte à lui, dans son pamphlet contre la compagne de Titus. Dans ce libelle, il ne parle de Tullia qu’en la qualifiant de Meretrix, de Lupa, de tribade, ou encore en faisant référence à ses pseudonymes, Danaé et Néférou. Il brule de haine envers elle, se rappelant tout le mal que Vespasien et Caenis disaient de la patricienne. Au moins sur ce point, Domitien, est d’accord avec l’ancienne concubine de son père ! Domitien sera le premier homme, depuis Lurco, à avoir refusé les avances de Tullia, qui se rend compte alors que l’âge diminue son pouvoir de séduction. Les efforts de Tullia ont été sabotés, en quelque sorte, par une partie de sa famille, par ses propres filles, instrumentalisées par leurs époux. Lucius, sur une idée de Julia, pousse Tertullia dans les bras de Domitien, afin de relancer sa carrière politique, en panne depuis la séance où il avait suggéré à Titus d’exiler Tullia et Bérénice. De leur côté, les ambitieux que sont les deux frères Lucanus et Tullus font de même avec la jeune Domitia, dont il se dit à Rome qu’elle est la fille de Titus. Coucher avec sa nièce ne dérange pas Domitien, bien au contraire !

Pour faire mal à Tullia, Domitien la repousse brutalement et lui dit :
• Ne te fatigue pas, Meretrix. Même si ça me ferait plaisir de faire cocu mon cher frère, je préfère baiser tes deux filles qui, comme toi, sont des putains ! Mais bien plus jeunes !

Tullia est blanche, se sent humiliée, mais ne répond pas à l’injure : cet homme n’a aucun sens moral, il est un monstre, pire que Néron, qui avait quelques excuses, ne serait-ce que le poids oppressant de la « meilleure des mères », Agrippine. Elle pense à ses filles, jouets entre les mains de cyniques, ambitieux et pervers, dont Julia, la nièce de son amie Fausta. Domitien va lui asséner un ultime coup, terrible pour Tullia :

• Je sais que tu es très proche de Julia Titi, la fille que mon frère a eue avec Marcia Furnilla.
• Oui, Julia Flavia (nom officiel de la fille de Titus) est comme ma fille. Elle est belle, intelligente, cultivée. Je l’adore ! C’est ma princesse.
• Et bien sache que cette petite sotte s’est amourachée de moi et que je l’ai dépucelée. Ça me fait plaisir d’honorer tes trois filles !
• Tu es un monstre ! Julia est ta nièce !
• Et alors ? Comme Domitia Curtilia Mancia, que tu as conçue avec Titus. Je te rappelle que, pour que Claude puisse épouser Agrippine, le Sénat avait autorisé un oncle à épouser sa nièce. Mais, ne t’inquiète pas, je vais la pousser à se marier, tout en continuant à baiser cette petite putain. Son mari sera cocu, comme le sont tes gendres Crassus et Lucanus. Mais eux m’ont offert leurs femmes.
Avec l’âge, Tullia a appris la prudence. Pour elle, la disparition de Titus serait un drame, comme elle en a déjà tant connu. Que se passerait-il si Domitien devenait empereur ? Tullia sait que ni ses filles, ni sa douce Julia Titi n’ont d’influence sur Domitien. Alors elle décide de se rapprocher du grand amour de Domitien, son épouse Domitia Longina.

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Domitia Longina a alors 30 ans et est la plus jeune fille du glorieux général Corbulon et de sa femme Cassia Longina. Par sa mère, elle est une descendante d’Auguste. À la suite de la conjuration de Pison, Corbulon est contraint par Néron de se suicider à Corinthe, en 67. En 70, Longina épouse le sénateur Lucius Aelius Lamia Plautius Aelianus, ami de Titus. Elle a une fille de ce mariage, Plautia, qui sera la grand-mère de l’empereur Lucius Verus, le frère adoptif de Marc Aurèle.

Longina est une femme volage et adultère. Domitien rencontre et tombe amoureux de Domitia Longina et parvient à persuader Lamia de divorcer afin de pouvoir l’épouser. Malgré cette désinvolture, l’alliance est prestigieuse pour les deux familles. Le mariage réhabilite la famille de Corbulon et sert les Flaviens. Alors que Titus, de 74 à 75, était séparé de Bérénice et de Tullia, il a été dit que sa belle-sœur fut sa maitresse. En 80, Longina donne un fils à Domitien, mais l’enfant mourra en 83. En 80, Titus accorde le consulat à l’ancien mari de Domitia, Aelius Lamia, ce qui peut être perçu comme une insulte envers Domitien. C’est à ce moment-là que Tullia rencontre Longina. Les deux femmes font connaissance, non grâce à Titus, mais à Fausta dont le mari Hosidius Geta était un compagnon d’arme de Corbulon. Martial et Juvenal ont pensé qu’il y eut une relation saphique entre Longina et Tullia. Les deux femmes avaient 20 ans de différence. Longina avait une admiration profonde pour son ainée, qui était pour elle un mentor et un modèle. De là à en faire des amantes, il y a un pas. Deux choses sont certaines :

• Tullia encourage Longina dans son libertinage, tout en lui recommandant une certaine discrétion. C’est à ce moment-là que Longina devint la maitresse d’un acteur renommé, Paris. Les villas de Tullia et de Fausta à Baïes sont les lieux où Longina rencontre ses amants
• Longina sera toujours la protectrice de Tullia et cette protection sera précieuse quand Domitien deviendra empereur.

Tullia cherche aussi à protéger Julia Titi de l’influence de son oncle Domitien. Elle réussit à convaincre Titus, au début de l’année 81, de marier sa fille. Titus choisit son petit-neveu, Titus Flavius Sabinus, le petit-fils du frère de Vespasien et Préfet de Rome. Le mariage donnera naissance à un fils, Titus Flavius Titianus, qui sera Préfet d’Egypte de 126 à 133 et dont la petite-fille sera l’épouse de Pertinax, empereur en 193. Tullia, à son grand désespoir, ne réussit pas à éloigner Julia Titi de son oncle continuant ainsi à entretenir cette relation toxique malgré son mariage. Le mari cocu n’apprécie pas et a les plus mauvaises relations avec Domitien.

***

À l’été 81, les drames qui n’ont cessé de frapper l’empire depuis deux ans se sont enfin apaisés. Titus passe l’été à Baïes auprès de Tullia. Ils sont comme un vieux couple, heureux et apaisé, plus amoureux que jamais. Fin août, Titus regagne Rome, annonçant à Tullia que leur union sera célébrée en octobre. Son intention est aussi, pour écarter Domitien, d’adopter Caius, le fils de Tullia, et Marcus, le fils de Trajan. Titus songe alors à ce qui sera, jusqu’au règne de Marc Aurèle, la règle de succession qui privilégie le « choix du meilleur » sur l’hérédité. Il ne pourra mettre en œuvre ce projet.

Le mauvais sort va s’acharner. Alors que Titus s’apprête à sacrifier un animal à la fin d’une cérémonie, la bête, terrifiée, parvient à s’enfuir. Le présage est d’autant plus funeste que l’on entend le tonnerre gronder dans un ciel clair. Malgré ces présages, l’empereur prend la route pour le pays sabin, où doit se dérouler son mariage avec Tullia. Pris de fièvre, il s’installe dans une litière dont il fait relever les rideaux. Il comprend qu’il est atteint par la peste et qu’il va mourir à 41 ans, le mal étant foudroyant. Il ne pourra pas faire ses adieux ni à sa bien-aimée, ni à ses filles Julia Titi et Domitia et d’ailleurs ne le souhaite pas, se sachant contagieux. Le fidèle Trajan, père du futur empereur, revenu de son proconsulat dans la province d’Asie, est courageusement présent au chevet du mourant. Il rapportera à Tullia les dernières paroles de Titus :

• La vie m’est enlevée malgré mon innocence. Dis à Tullia qu’aucun de mes actes ne me laisse de remords, à l’exception d’un seul.

Titus fait ainsi une allusion claire à ce mariage si souvent repoussé, que Vespasien avait refusé en 57.

• Demande-lui de me pardonner ! Je l’ai toujours aimé ! Dis-lui aussi que je veux qu’elle vive !
• César, tu vas vivre ! Tu es un soldat !
• Je sais que je vais mourir, mon ami, sourit le moribond. Je revois mon existence et je regrette de n’avoir pas épousé Tullia il y a près de 25 ans. J’aurais aimé lui faire beaucoup d’enfants. Elle aurait été une matrone formidable. Je t’en prie, veille sur elle. Je sais que Domitien la hait.

Alors que Titus agonise encore, l’odieux Domitien se rend au camp prétorien et s'y fait acclamer empereur. Titus meurt le 13 septembre 81 dans la maison familiale de Rete. Conformément aux instructions de l’empereur, Trajan se présente à Baïes, porteur de la terrible nouvelle. Le désespoir de Tullia est encore plus violent qu’en 79, lors du départ de Bérénice. Celle-ci était loin, mais vivante. Titus, son plus grand amour, lui, est mort. Tullia n’avait pu être l’épouse de Titus, alors qu’elle avait été plus de 25 ans sa femme. Elle se devait de se comporter comme sa veuve.

Un deuil unanime accueille sa disparition, les sénateurs se réunissent pour lui rendre hommage. Le titre de « délices du genre humain » lui est décerné et lui est resté attaché. Ce souvenir a définitivement effacé dans la mémoire collective le premier Titus, capable de débauches, de cruautés et d'arbitraire despotique. La postérité retiendra surtout le Titus mûri et métamorphosé par sa fonction. Le Sénat proclame, sur proposition de Caius et à la demande de Domitien, le nouvel empereur, l’apothéose de Titus. Elle fait de l'empereur un dieu.

Domitien ne peut empêcher la présence de Tullia au premier rang, soutenue par ses enfants, mais aussi et surtout par Julia Titi, pour qui Tullia est plus que jamais « mater mia ». Tullia a revêtu la toge sombre qu’elle ne quittera plus pendant des mois. La « vie inimitable » est définitivement terminée. Par son courage, cachant son immense souffrance, Tullia est devenue, de façon posthume, l’épouse de Titus. Elle se comporte comme une vraie matrone romaine, comparable, par sa dignité, à Cornélie, mère des Gracques, Elle parviendra à surmonter cette terrible épreuve, grâce au soutien de ses enfants, et surtout à la présence constante de Julia Titi, dont elle est plus proche que jamais, le soutien de Domitia Longina et la fidèle amitié de Fausta et de Pomponia. Elle recevra, plusieurs semaines après, une longue lettre de Bérénice, la perte de leur homme renforçant encore le sentiment si fort qui unit toujours les deux femmes.

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La mort si brutale de l’homme de sa vie va amener en 82 Tullia à une décision qu’espérait son amie Pomponia depuis tant d’années : se convertir au christianisme. Devant tant d’épreuves, Tullia, pour ne pas désespérer, accepte les malheurs qui l’ont frappé. Sur ce point, la religion chrétienne rejoint la philosophie stoïcienne de son père Marcus. Pour Pomponia, épuisée par la maladie, la conversion de Tullia est un aboutissement. Pomponia a aussi réussi à convertir au christianisme deux membres éminents de la famille flavienne, Titus Flavius Clemens et sa femme Flavia Domitilla. Lui, âgé de 32 ans, est le petit-fils de l’ancien Préfet de Rome, Sabinus, le frère de Vespasien. Elle, est la petite-fille de Vespasien. Clemens et son frère Sabinus sont les héritiers potentiels de l’empereur.

Pomponia fait venir pour le baptême, qui a lieu dans la villa de Tullia, l’évêque de Rome Anaclet, deuxième successeur de Saint-Pierre. Le saint homme ignore tout des débauches qui se sont passés dans ces lieux. Pomponia meurt quelques mois plus tard, accompagnée de l’affection et des prières de Tullia. Dans la clandestinité, Pomponia se faisait appeler Lucine, nom sous lequel elle est célébrée par l’église.
***

L’année 83 voit pour Tullia une autre épreuve. Domitien découvre l’infidélité de son épouse Domitia Longina, et sa colère est sans limites. Il fait assassiner en pleine rue Paris, l’amant de sa femme. L’ancien mari de celle-ci, Aelius Lamia, est aussi exécuté pour s’être publiquement moqué de Domitien le cocu. Domitien veut d’abord faire exécuter l’épouse adultère, puis se laisse convaincre de se contenter d’un exil, alors qu’il installe sa maitresse Julia Titi au palais. La même année, le tyran fait exécuter son cousin Sabinus, le mari de Julia Titi, qui avait été consul en 82, se débarrassant d’un rival gênant. Le prétexte évoqué fut qu’il avait été salué du titre d’imperator, un titre réservé à l’empereur. Dès l’année suivante, Longina est rappelée au palais, Domitien affichant ouvertement un trio qui heurte les Romains, mais chacun se tait face au tyran.

Tullia, après la perte de Titus et de Pomponia, reste à Baïes pour veiller de loin, autant qu’elle le peut, sur sa chère Julia Titi. Celle-ci n’écoute pas ses mises en garde contre Domitien, mais, avec le soutien de Domitia Longina, protège Tullia de la folie meurtrière de Domitien.

Dès le début de son règne, Domitien met en place un régime au caractère autocratique. Il se méfie des aristocrates et ne craint pas de le montrer en retirant tout pouvoir décisionnel au Sénat. Au moins vingt sénateurs qui s'opposent au régime sont exécutés, dont son cousin, Clemens, qui avait été converti par Pomponia. Quant à Domitilla, l’épouse de Clemens, elle sera exilée. Domitien assume clairement sa position autocratique face à l’élite romaine. A partir de 90, de nombreuses mesures sont prises pour punir l’adultère, le crime de lèse-majesté et la haute trahison. Une vague de persécutions élimine les personnes soupçonnées d’être opposées au régime. Aux conspirations, nombreuses, Domitien, que le poète Juvénal appellera « le Néron chauve », répond par des exécutions. Parmi les victimes de Domitien, se trouve Epaphrodite, le grand affranchi de Néron, qui a pourtant fidèlement servi depuis 69 les trois empereurs de la dynastie des Flaviens.

Domitien s’en prend aussi aux proches de Titus. Trajan l’ancien, en disgrâce, se retire en Espagne alors que son fils, le futur empereur, poursuit sa carrière politique et militaire loin de Rome. Caius, le fils de Tullia, est envoyé en exil à Tomes, en Mésie, comme l’avait été jadis son grand-père Marcus. Il favorise ceux qui le servent, comme le sénateur Marcus Aquilius Regulus, un des dénonciateurs à l’époque de la répression de la conjuration de Pison. Lucius Atius Crassus, le gendre de Tullia, est aussi très proche de Domitien. Il en est de même des deux frères Lucanus et Tullus, qui ont placé Domitia Mancia dans le lit de Domitien. En 91, un nouveau coup atteint Tullia : la mort, dans de terribles souffrances, de la douce et naïve Julia Titi, contrainte d’avorter par Domitien. Tullia n’est plus protégée, l’influence de Longina est devenue faible et ses gendres ont bien d’autres préoccupations que de la protéger.

A 62 ans, Tullia reprend la mer pour un nouvel exil, qui, comme son voyage, sera cette fois sage. Elle va passer les quatre années suivantes en Grèce, en compagnie de Bérénice, dans la résidence de celle-ci à Athènes, la reine étant évergète de la ville. C’est pour les deux femmes l’occasion d’une vie commune heureuse, comme un vieux couple et de visiter ces lieux emblématiques dont Tullia rêve depuis son enfance, l’Acropole, le théâtre d’Epidaure, Mycènes ou encore le sanctuaire d’Apollon à Delphes. En 96, quand elle sent sa santé décliner terriblement, Bérénice rentre en Palestine pour mourir, à Ptolémaïs, Tullia restant à ses côtés jusqu’au bout pour fermer les yeux de celle qu’elle a tant aimé.

Bien qu’elle ait appris le complot qui a abouti à l’assassinat de Domitien, le 18 septembre 96 et le rôle qu’y a joué son amie l’impératrice Longina, Tullia entreprend alors un ultime voyage, qui la mène à Alexandrie, lieu empreint de son bonheur passé avec Titus et Bérénice, avant de revenir en Italie en 98, après un séjour à Carthage. L’empereur est désormais Trajan, le protégé de Titus.
Tullia séjourne définitivement à Baïes. Tertullia, veuve de Lucius depuis deux ans et qui s’est enfin libérée de l’influence toxique de Julia, veille sur sa mère, qui a vu disparaitre tous ses proches, y compris son amie Fausta, morte pendant son exil en Grèce.

Tullia a échappé à la folie criminelle de Messaline, Poppée, Néron et Domitien et a surmonté le désespoir de la perte cruelle de ceux et celles qu’elle a aimés, ses hommes, Vettius Valens, Parsam, Sénèque, Titus et ses femmes, Lucia, Epicharis, Pomponia, Bérénice. Souvent esclave de ses sens, elle a assumé pleinement son hypersexualité et a été une femme libre. Elle a le bonheur, dans ces derniers mois, d’avoir auprès d’elle ses trois enfants, Caius, rappelé d’exil après la chute de Domitien, Tertullia, convertie à son tour au christianisme, Domitia, la fille de Titus. Tullia trouve que Caius, qui est devenu un sage au Sénat, ressemble de plus en plus à son grand-père Marcus, comme ses deux filles sont le portrait de leur géniteur, Valens et de Titus. Tullia, apaisée, meurt dans son sommeil au courant de l’année 102, à l’âge de 72 ans.

Sa fille Domitia obtient de Trajan une grande faveur : que les cendres de sa mère rejoignent discrètement le divin Titus dans son temple funéraire. À défaut de mariage, les deux amants sont ainsi réunis pour l’éternité.

***

Tullia est un personnage de fiction, issue de mon imagination et de mes recherches. Oui. Et pourtant ! Il me plait de penser que le poète Juvénal a, en marge de ses « Satires », écrit une « vie de Tullia », qui a été perdue et qui a été reconstituée dans ce récit. Voici comment.

Juvénal est un contemporain de cette histoire. Né en 55 et mort en 128, Decimus Iunius Iuvenalis est l'auteur de seize œuvres poétiques rassemblées dans un livre unique et composées entre 90 et 127, les Satires. Fils d’un riche affranchi, originaire de Campanie, il commence sa carrière comme professeur d'éloquence, métier dont il vit assez convenablement et lui permet d’acheter une petite ferme à Tibur. Juvénal déteste ce qu’est devenue Rome. Dans ses « Satires », il fait de ses contemporains une peinture acerbe et sans pitié. Selon lui, la Rome impériale s'est en effet transformée en une ville gigantesque, monstrueuse scène de théâtre remplie de bouffons qui s'ignorent et d'aigrefins, un lupanar. Il s’en prend en particulier aux matrones femmes qui, quand elles ne cocufient pas leurs maris, les empoisonnent par leur érudition avant de le faire pour de bon et de toucher l'héritage. Érudite et hypersexuelle, Tullia aurait dû être au cœur des cibles de Juvénal.

Comme nous y avons fait référence au chapitre 26, « La Bona Dea » Juvénal a mentionné Tullia dans sa Satire VI : « Quelle réserve attendre de la passion sensuelle, quand le vin s'y ajoute ? Elle est capable, dans ses caresses, d'étranges confusions, celle qui, jusqu'au milieu des nuits, mord dans d'énormes huîtres, tandis qu'écument les parfums versés dans le Falerne pur et que, buvant à un vase en forme de coquille, elle croit voir le plafond tournoyer et le nombre des flambeaux doubler sur la table. Va-t'en douter, maintenant, de l’attitude de Tullia et des propos que tient Maura, sa sœur de lait, quand elle passe près de l'antique autel de la Pudeur. C'est là que, la nuit, elles font arrêter leurs litières, c'est là qu'elles inondent de longs jets la statue de la déesse ; elles se chevauchent réciproquement et se trémoussent sous les regards de la lune, puis elles regagnent leur logis »

C’est la seule fois qu’il parle explicitement de notre matrone. En fait, Juvénal, prudent, se garde bien de s'en prendre aux empereurs régnants et à leur entourage. Il écrit après la mort de Domitien et publie sous les règnes de Trajan et d’Hadrien. Or Tullia était la concubine de Titus, ami du père de Trajan. Même après sa mort, s’en prendre à elle revient à s’attaquer à la mémoire vénérée de Titus. Et le nouvel empereur ne peut laisser dire que son père a bénéficié des faveurs de Tullia, avec l’accord de Titus, devenu candauliste (voir chapitre 34 : « la vie inimitable »). Dans l’entourage de Trajan, on trouve aussi deux sénateurs influents Caius Spurius Tullius, fils de Tullia et Cnaeus Domitius Curvius Tullus, frère de Lucanus, le mari de Domitia, fille de Tullia. L’un et l’autre ne veulent pas qu’on rappelle le passé scabreux de la patricienne.

Juvénal n’en n’ignore pourtant rien car il a bénéficié des confidences de deux témoins privilégiés.

Le premier est le poète Martial, qui fut un des amants de Tullia et de Fausta, pendant la période des banquets, entre 54 et 57, qui finissaient en orgies à Baïes et notamment lors des saturnales ou du scandale de la Bona Dea. Vivant par la suite à Rome de 64 à 98, Martial fut proche du pouvoir et toujours à la recherche de protections. Il a suivi de près les tribulations de Tullia au cours de toutes ces années et il constitue une source précieuse pour Juvénal. Martial a seulement demandé à son ami de ne rien publier de son vivant.

Par le canal de Martial, Juvénal a fait aussi la connaissance d’un autre témoin de la vie de Tullia, le rhéteur Quintilien, qui fut l’avocat de Tullia lors du scandale de la Bona Dea, puis un de ses amants dans ce cadre candauliste voulu par Titus. Il assistera à cette dramatique réunion qui convainquit Titus, à son avènement, d’en finir avec « la vie inimitable » et d’éloigner Bérénice et Tullia. S’étant retiré en 89 des responsabilités confiées 20 ans auparavant par Vespasien, Quintilien recueille les confidences de Tullia, qui vit à ce moment-là sagement à Baïes, essayant de se faire oublier de Domitien. Quintilien partage avec Juvénal ces confidences très complètes de Tullia et fournit à l’écrivain deux documents essentiels, en premier lieu le rapport au sujet de Tullia, rédigé en 57 par Caenis à l’attention de son amant Vespasien et destiné à empêcher le mariage de la patricienne et de Titus. Ce document a été complété en 80 par les espions de Domitien, dans le but d’atteindre Titus à travers sa compagne. Ces deux brulots ont été réalisés à charge contre Tullia, qualifiée par Domitien de « putain, pire que Cléopâtre, Julie (fille d’Auguste) et Messaline réunies ».

Les exploits de Tullia, Juvénal en avait entendu parler lorsqu’il avait commencé ses investigations pour écrire son œuvre. À Suburre, il avait recueilli les confidences de la célèbre « lena » Rufina (voir chapitre 14 « Lysisca et Danaé à Suburre »). C’est par Rufina que Juvénal apprendra que Messaline, déguisée en Lysisca, venait se prostituer dans le lupanar de Rufina et de Quintus. Mais elle a aussi parlé d’une patricienne qui l’accompagnait et qui se faisait appeler Danaé, « encore plus chaude que Messaline. J’ai su plus tard que cette Danaé était Tullia, la fille du sénateur Marcus Tullius Longus. C’est quand elle a fait rechercher une autre prostituée, Epicharis, avec qui elle a vécu, et qui a fait partir du complot contre l’empereur Néron. »

Quintilien est mort en 96 et Martial en 103. Pourtant, prudent, craignant la réaction de Trajan et des proches de Tullia, Juvénal ne se sert pas de tout cela dans ses « Satires ». La situation change quand, après la publication des Chapitres « 1 à 14 », l’empereur Hadrien décide d’exiler Juvénal en Égypte. Les contemporains ont vu dans ses propos des allusions à l'actualité, ce qui lui vaut, en 127, sur décision de l’empereur, l'exil en Égypte, sous couvert d'une vague mission militaire.

Juvénal évoque longuement l’Égypte dans sa Satire XV. Il profite de son exil pour parcourir l’Égypte, jusqu’à Syène (Assouan). Ce voyage lui permet de visiter les monuments égyptiens. Juvénal s’intéresse de longue date au culte d’Isis, qu’il considère, avec les autres influences orientales, comme contribuant à la décadence des mœurs des Romains et en particulier de leurs épouses. Il visitera les sanctuaires isiaques d’Isiopolis, de Coptos, d’Akhnîm et de Philae et y découvrira des traces du passage de Tullia, ayant ainsi confirmation des accusations que portait Domitien : Tullia a bien été Néférou, prostituée sacrée au service d’Isis. Juvénal, ayant aussi appris les liens des Antonins avec les familles de Tullia et de son amie Fausta, se lance alors, pour se venger de son exil, dans la rédaction de son « Histoire de Tullia, fille du sénateur Marcus Tullius Longus » ». Juvénal meurt à Syène en 128, sans avoir faire publier de copies de son manuscrit.
C’est cet ouvrage disparu que nous avons reconstitué à travers ce roman érotique et historique, à l’image de ce qu’ont fait Robert Graves (« Moi, Claude », 1934), Marguerite Yourcenar (« Mémoires d’Hadrien, 1951) et Pierre Grimal (Mémoires d’Agrippine, 1992).
***
Il nous reste à évoquer quelques personnages encore en vie lors du décès de Tullia, en particulier ses enfants et leur descendance.

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Histoire de OlgaT

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Commentaires du récit : Matrone et Domina : Tullia, une patricienne hypersexuelle dans la Rome impériale (42) : « Les délices du genre humain »

Le 13/09/2023 - 14:20 par Micky
L'histoire romaine côté alcôve par la maitresse du genre. Hubert Monteilhet a trouvé son épigone.
Le 01/08/2023 - 11:07 par OlgaT
Merci Lounabelle et Valeriane!
Le 01/08/2023 - 10:42 par valeriane
Un plaisir à lire
Le 01/08/2023 - 10:40 par lounabelle
Toujours aussi prenante comme histoire
Le 31/07/2023 - 21:26 par OlgaT
Merci Didier, pour ce commentaire très complémentaire au premier. Quelques éléments de réponses : 1. L’incendie de 80 prouve que Néron, si décrié en 64, avait pris des dispositions en matière de reconstruction et de lutte contre l’incendie qui, au final se sont révélées efficaces. 2. Domitien est à tout point de vue l’anti-Titus. Au point que Juvénal le surnomma le Néron chauve ! 3. En ce qui concerne le texte attribué à Juvénal, l’élément central, ce sont les témoignages de Martial et de Quintilien.
Le 31/07/2023 - 19:13 par DBHB24
Olga, Ce chapitre, concernant le récit en lui-même, est très historique avec une omniprésence de sexe. Tout d'abord, j’ai trouvé très bien de faire le lien entre les tremblements de terre de 62 et 64 avec l'éruption du Vésuve en 79, dont tu fais une bonne présentation ainsi que de ses conséquences sur la région et la population romaine, sans oublier le focus sur la mort de Pline l'ancien. Il en va de même concernant l’allusion à l'incendie de Rome de 80, moins connu que celui de 64 me concernant, et de l'épidémie de peste. Tu fais également une bonne présentation des réactions et des mesures prises par Titus lors de tous ces drames, confortant ainsi son changement de mentalité depuis son avènement. Tu nous démontre très bien également comment l'opposition initiale de Domitien envers son frère Titus se transforme progressivement en haine. Pour continuer sur Domitien tu nous montre bien comment il s’approprie le pouvoir puis comment il fut lors de son règne, tyrannique et autocrate. Concernant les autres figures historiques, j’ai apprécié la bonne présentation sur la vie de Domitia Longina épouse en titre de Domitien, mais aussi l’allusion du début de la vie de Trajan puis de son avènement en tant qu’empereur. Pour finir avec les aspects historiques, tu t’es bien appropriée la mort de Titus que tu as su adapter à ton récit en donnant ta version de ses énigmatiques derniers mots « Je n'ai commis qu'une seule erreur ». L'adaptation de la mort de Pomponia et la fin de vie de Bérénice, sont bien en cohérence, bien adaptées, à l'esprit final que tu as voulu donné à ta saga. Pour terminer, je tiens à souligner que ta théorie sur un "hypothétique" texte de Juvenal est très bien et surtout cohérente dans sa démonstration. Celle-ci est bien argumentée d'un côté avec la pensée "globale" de Juvénal et de ses satires, et de l'autre par la citation faite sur Tullia. De plus dans ta démonstration, tu mêles bien des lieux, des faits historiques, et des personnages réels, mais aussi l'incidence qu'ils ont eue dans ton récit et inversement. Toutes tes hypothèses se tiennent donc, les rendant ainsi plausibles. Bravo, et félicitations. Didier
Le 31/07/2023 - 16:35 par OlgaT
Merci Didier, tu as passé en revue les points historiques à la base de ce chapitre. Les spécialistes considèrent en effet que le tremblement de terre de 62 était un signe annonciateur du réveil du Vésuve. Le Vésuve a connu de longues périodes d’inactivité. En 79 de notre ère, le volcan est endormi depuis plusieurs siècles, faisant oublier aux habitants sa nature même de volcan.Il faut aussi souligner que Titus se révéla être un exceptionnel gestionnaire de crise et un homme d’État de grande qualité. Pour que les rescapés ressentent le soutien de son gouvernement, il s’est rendu personnellement en Campanie. Il a également puisé dans sa fortune personnelle pour contribuer à la reconstruction, devenant ainsi le donateur privé le plus généreux du monde antique. Pour l’historien romain Suétone, Titus s’est comporté envers ses sujets non seulement en empereur, mais également en "père aimant".
Le 31/07/2023 - 13:29 par DBHB24
Ce chapitre malgré son titre évocateur n’est qu’une suite de tragédie pour notre belle héroïne Tullia. Dans l’espérance d’un mariage avec son Titus, Tullia demeure à Baies, où elle subit les conséquences de l'éruption du Vésuve qui frappe Pompéi. Face à l'événement et comme pour l'incendie de 64 à Rome, notre belle héroïne se montre combative et protectrice. Titus se rends auprès d'elle, lui confirmant ainsi son amour et son désir de mariage, qui doit cependant passer en second plan au regard de la catastrophe. Ce projet de mariage est repoussé une fois de plus, suite à un nouvel incendie à Rome et à l’épidémie de peste qui s’en suivi. Dans le même temps Tullia fait tout pour adoucir les relations entre son grand amour Titus et son farouche opposant Domitien, en étant prête même à avoir une relation avec lui dans un but de réconciliation. Cependant Domitien, n'ayant que haine et mépris envers Tullia et son sulfureux passé, lui préfère ses deux filles Tertullia et Domitia lui ayant été livrées en pâture par leurs ambitieux maris, mais aussi Julia Titi, fille "adoptive" de Tullia, devenue entre-temps sa maitresse. Notre belle héroïne trouve alors une alliée et future protectrice en Domitia Longina, propre épouse de Domitien. Alors que la date du mariage approche, Titus meurt subitement de la peste, Domitien en profitant alors pour prendre le pouvoir Sombrant une fois encore dans une grande dépression, Tullia en digne matrone porte officiellement le deuil de Titus. En restant par prudence à Baies très loin de Rome et ses intrigues, notre belle héroïne surmonte péniblement son immense chagrin grâce à ses enfants, de sa protégée, et ses grandes amies. Face à tous ces tragiques événements Tullia se convertie finalement au christianisme pour la grande satisfaction d’une Pomponia épuisée. Cependant après à la mort de son aimée Pomponia, puis de celle de Julia Titi, lors un avortement ordonné par Domitien, Tullia se décide de quitter alors l'Italie pour vivre désormais avec Bérénice en Grèce. A la mort de celle-ci en Palestine, Tullia continue « son exil » par un périple de deux ans en Egypte pour finalement rentrer en Italie où elle meurt finalement auprès de ses enfants à l’âge de 72 ans. La mort de notre belle matrone Tullia sonne ainsi le glas de cette magnifique saga… Didier

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