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Les randonneurs

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Lue : 16303 fois - Commentaire(s) : 1 - Histoire postée le 20/03/2011

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Une bonne paire de chaussures de marche, un sac à dos contenant un vêtement de pluie léger, pull, casse-croûte boisson en thermos et une trousse de secours, éventuellement un rouleau de papier, enfin un bâton de marche: vous êtes armé pour partir en randonnée. Seul ou à deux ou plus nombreux, selon les goûts. Depuis des années, Anne, mon épouse et moi, Julien, avons choisi d’adhérer à un club de randonneurs de notre ville. Nous avons apprécié de vivre en groupe, de lier connaissance avec des citoyens et citoyennes de notre ville, d’avoir des contacts en dehors de notre vie professionnelle. Le club organise des sorties régulières, choisit les itinéraires en fonction du temps et des saisons, distribue pour chaque excursion un plan du parcours avec indication des points de regroupement et un horaire approximatif. Moyennant une cotisation, le marcheur est membre du club et assuré en cas d’accident. Enfin le club rend service, mais n’impose pas la participation à toutes ses activités. Selon un calendrier connu de tous, le samedi matin a la préférence des participants. Le dimanche est plutôt réservé aux rencontres inter clubs, assez rares.

Anne a pris l’habitude de marcher dans le groupe de tête, afin d’éviter l’effet d’accordéon fréquent et pénible lorsque la colonne est longue. Il lui arrive souvent de me laisser en conversation avec l’un ou l’autre pour aller papoter, comme elle dit, avec les autres jeunes femmes, Sandrine, Alexia, Isabelle, Corinne, tantôt devant moi tantôt derrière. Rien n’est codifié, tout dépend des circonstances
Circonstance particulière ce samedi, je vais devoir utiliser mon rouleau de papier. Je me laisse glisser dans la colonne qui s’est divisée en au moins deux groupes. Discrètement, je quitte l’allée forestière pour aller me poster derrière un taillis dans le sous bois. J’entends les bavardages des attardés sur le chemin. L’humeur est joyeuse.
A l’instant où je me relève, je me dis que j’aurais pu être surpris. Un couple vient de quitter l’allée et se dirige vers le taillis suivant. Je reconnais l’élégante épouse du maire accompagnée, comme il se doit, de monsieur le premier adjoint. Monsieur le maire est beaucoup trop occupé pour s’adonner aux plaisirs de la randonnée pédestre. Sa blonde épouse le représente au sein du club, en qualité de vice-présidente. Il lui doit en grande partie sa récente réélection, elle est belle, distinguée, toujours aimable, attentive aux suggestions de ses concitoyens qu’elle transmet fidèlement à son époux. Le représentant de la mairie, chargé d’assurer officiellement le club de la bienveillance de la municipalité est l’adjoint. Il s’affaire généralement autour de madame, l’entretient longuement, ne la quitte pratiquement jamais. Oui, mais de là à l’accompagner dans les taillis: j’avoue que sa conduite éveille ma curiosité. Non, il n’est pas là en sentinelle, pour protéger la dame dans un moment d’intimité. Tous deux se sont abrités derrière une haie sauvage. Il était temps, l’envie était pressante de s’isoler, sacs à terre, pour s’embrasser à pleine bouche, pour s’étreindre amoureusement. Il n’y a pas de temps à perdre, elle relève rapidement sa jupe de fin tissu, fait glisser l’entrejambe de sa culotte, se penche pour recevoir aussitôt un membre vigoureux dégagé du pantalon de survêtement du très digne adjoint. Et oui, pour être dignitaire, on n’en est pas moins homme ou femme. Madame a pris appui d’une main contre un tronc et s’est saisie du brandon pour le mettre sur la bonne voie. On ne perd pas de temps en préliminaires, l’absence ne devra pas être trop longue. La charge est rapide, les secousses de bonne amplitude, les encouragements étouffés par la peur d’une indiscrétion. Monsieur l’adjoint devait être très chaud. Déjà il se retire et déverse sur le sol, en jets saccadés son trop plein de semence. On se rajuste, on s’accorde un dernier baiser secret et on se précipite à vive allure sur le sentier. Je leur laisse prendre une certaine avance. Me voici détenteur d’un secret à ne révéler à personne.
Je m’explique mal cette séquence d’amour à la sauvette. Certes j’ai adoré faire l’amour dans la nature, mais je n’ai jamais expédié les affaires aussi vite. Si j’avais supposé leur complicité sexuelle, je les aurais imaginés confortablement installés dans une chambre d’hôtel. Quoique, ici, il n’y ait ni femme de chambre ni portier à l’affût et prêts à monnayer les secrets d’alcôve. A la réflexion, ils ont fait preuve d’un certain entraînement, limitant au maximum les temps de préparation ou de remise en état pour privilégier l’action.
Sur leur élan, les deux amants remontent d’un pas vif la queue de la colonne, sans doute en faisant des considérations sérieuses sur la nécessité de laisser pousser sous les arbres géants des abris de verdure pour les animaux de la forêt. Pour aujourd’hui ils peuvent aller individuellement prendre la température électorale des participants, ainsi notre premier magistrat aura un rapport circonstancié et précis de l’atmosphère de ce groupe de la population quémandeur de subventions municipales. Lui parleront-ils
de l’utilité des fourrés dans la forêt communale.
A la première halte je rejoins Anne. En pleine conversation animée avec notre ami Sylvain, le receveur de la poste, elle ne s’est pas aperçue de mon absence. Moins elle me posera de questions moins mes réponses seront embarrassées.
Le groupe se remet en branle. Anne et Sylvain devisent sans se soucier de moi. Geneviève m’interpelle au passage

-Alors, Julien, ta femme t’oublie. Attention, ce Sylvain va te l’enlever. Marche avec moi, tu vois Joël, mon adjoint de mari, doit assurer la protection rapprochée de Sabine, la femme du maire. Comme toi je suis seule dans ce cortège, sans homme, perdue parmi les femmes.
Geneviève est l’épouse de monsieur l’adjoint, je ne peux pas refuser pareille invitation. Evidemment il n’est pas question de lui raconter le faux pas de son mari. Je trouve cocasse sa mise en garde contre les supposées entreprises de Sylvain. Si je suis discret, elle l’est beaucoup moins. Et j’apprends par le détail les conquêtes du receveur, chaud lapin, notamment pendant les randonnées. Il a pris Gabrielle, la femme du facteur, derrière une meule de foin. C’était sur la fin d’un parcours à découvert. Elle aurait ramenée dans son corsage le repas d’un lapin. Pour le plus grand plaisir du préposé au courrier, éleveur de lapins à ses heures. Le lundi, il racontait cette délicate attention de son épouse à tout le bureau de poste, y compris au sévère receveur, hilare pour l’occasion. Et depuis le brave facteur se réjouit d’avoir été le premier à avoir fait rire son chef aussi ouvertement pendant les heures de travail.
-Vois-tu, croit-elle bon de commenter, le cocu est toujours le dernier averti. Tu vois, mon mari toujours à la remorque de Sabine, s’il savait que son patron a essayé de me séduire, il s’occuperait mieux de moi.

Je ne veux pas les brouiller, donc je me tais. Mais si la blonde continue à l’accaparer à chaque randonnée, il se pourrait que j’aie une faiblesse pour le premier magistrat. Tiens qu’est devenu Sylvain? Ta femme n’est plus devant nous.
Je me retourne. Les deux intéressés se sont arrêtés à une centaine de mètres en arrière. Sylvain vient de sauter le fossé et tend la main à Anne pour l’aider à franchir l’obstacle. J’abandonne Geneviève à ses considérations, je vole au secours de mon épouse. S’il lui faut un gardien pendant une halte d’hygiène, le mieux désigné reste son mari. Ils sont entrés sous les arbres, se dirigent allègrement vers un fourré. J’appelle:
-Anne, Anne, attends-moi.

Ils s’arrêtent, me voient, échangent quelques mots. Sylvain vient vers moi, Anne contourne le fourré.
-Ah! Par bonheur, tu me soulages. Anne a un petit besoin et m’a prié de monter la garde pour protéger son intimité. Puisque tu es là, c’est à toi de t’en occuper.
-C’est tout à fait mon intention. Il est inutile de t’attarder davantage. Merci, tu peux rejoindre le groupe. Je me charge de mon épouse. J’étais en discussion avec Geneviève qui se plaignait d’être seule. Rejoins-la, elle souffrira moins de la corvée d’accompagnement imposée à son mari.

Pourquoi Anne fait-elle cette tête étrange en revenant vers moi? Est-elle fâchée de mon intervention. Se sent-elle coupable d’avoir tenté l’aventure. Est-elle déçue de n’avoir pas pu conclure ou sourit-elle maintenant d’avoir échappé à l’influence du beau parleur.
-Dis-moi, chérie, pourquoi ne m’as-tu pas demandé de t’accompagner? Sais-tu de quoi Geneviève me parlait? Elle me racontait les aventures sexuelles de monsieur le receveur. Il paraît qu’il collectionne les petites culottes de ses conquêtes et les abords des chemins de randonnées seraient son terrain de chasse
favori.
-Cette folle t’a alerté inutilement. Sylvain devait repousser les indiscrets pendant que je me soulageais derrière ce fourré. Il n’a rien d’un séducteur professionnel. Et moi, j’ai un gentil mari; jamais il ne me viendrait à l’idée de te tromper avec ce type
-Je veux bien croire. Mais était-il indispensable d’être aussi proche pour assurer sa mission?
- Mon chéri, embrasse-moi pour te faire pardonner tes vilains soupçons.

Son baiser est exceptionnel, plein de passion. Eh! Bien, si je m’attendais à une telle flamme! J’ai bien fait de me porter à sa hauteur. Le remerciement assorti de pardon me rappelle l’époque lointaine de nos fiançailles, je n’y résiste pas; j’y réponds avec une ferveur renouvelée, attisée par le spectacle de la femme du maire et par la crainte inspirée par ce Sylvain trop serviable. Comme il y a longtemps l’amour frappe à la porte. Je pose mon sac à dos, en tire l’imperméable, baisse mon pantalon et mon slip m’étends sur la toile et attire une Anne plus que consentante. Ma cavalière se soucie peu du retard que nous prendrons, cependant son zèle est exceptionnel. J’ai l’impression d’avoir emprunté la machine à remonter le temps pour retourner aux premiers mois de notre mariage. Elle m’entraîne dans sa furie amoureuse, dans son déferlement de passion, en communion avec la nature primitive qui nous entoure.
Ciel, le discours de Sylvain lui avait échauffé les sens. Je devrai me méfier lors des prochaines sorties.

La troupe a terminé sa dernière halte et repart quand nous rejoignons en fin de peloton une Geneviève accrochée familièrement à un Sylvain très attentif. Nous fermons la marche. Anne semble très heureuse, pose sa main sur mon bras. Son regard ne quitte pas le couple qui nous précède. Je ressens vaguement un malaise à la voir étudier leur comportement
-L’arrivée est proche, nous devrions remonter en tête. Te sens-tu en forme?
-Oh! Oui, cet arrêt avec toi m’a redonné de la force.

Pourquoi répond-elle aussi fort. Pour donner des regrets à Sylvain ou pour faire savoir à Geneviève combien elle aime son mari. Nous les dépassons, Anne pourra regarder autour d’elle sans se focaliser sur eux. Moi aussi, je veux les oublier.
-Julien, veux-tu t’arrêter, ma chaussette est descendue. Il faut que j’ouvre ma chaussure pour la remonter.

Nous voilà de nouveau bons derniers. Mais où sont passés Sylvain et Geneviève? Anne scrute le paysage, leur absence ne lui a pas échappé. Aussi quand elle les voit sortir derrière une imposante meule ne peut-elle s’abstenir d’un:
-Quel salaud ou quels salauds.

Qui juge-t-elle ainsi. Sylvain vite consolé ou Sylvain et Geneviève qui lui a ravi Sylvain en m’envoyant chercher ma femme en danger?
La chaussette prétexte a repris sa place. Nous rentrons en silence. Elle rumine je ne sais quelles pensées revanchardes. Je suis triste de sa tristesse silencieuse et soucieux d’avoir découvert aujourd’hui cet aspect inattendu des randonnées que j’ignorais depuis des années. Mon optimisme naturel reprend le dessus. Pour la dérider je plaisante
-Dis, Anne, crois-tu que Geneviève a encore sa culotte?

-Tu as raison de poser cette question. Ne t’étonne pas de ma conduite, je vais trouver la réponse à l’arrivée.

J’aurais mieux fait de me taire. Ne va-t-elle pas créer un incident désagréable? Elle n’est pas aussi sereine qu’elle devrait l’être normalement si l’événement la laissait insensible. Pourquoi est-elle aussi concernée? J’aurais dû intervenir moins rapidement tout à l’heure dans le bois, j’aurais su s’il y avait entre Anne et Sylvain de quoi fouetter un chat. Ou j’aurais pu faire exception à la règle énoncée par Geneviève, être pour une fois le cocu premier averti de son infortune. Au lieu de vivre la torture du doute. Certes, mais nous avons profité de l’occasion pour redonner de l’élan à notre amour.
Avant la séparation Sylvain est venu me serrer la main, m’a adressé un clin d’œil complice et a levé un pouce pour exprimer sa satisfaction. Il a ensuite gentiment embrassé Anne à la mode du pays de quatre bisous chastes sur les joues. J’étais occupé à remercier Geneviève et je n’ai pas entendu ce qu’ils se disaient. Geneviève m’a remercié: de quoi?

-Regarde ce que j’ai subtilisé à Sylvain. Ca dépassait de la poche de sa veste.

Anne me montre dans le creux de sa main une boule d’un tissu arachnéen. Nous pouffons de rire en voyant Sylvain tourner sur la place à la recherche de quoi?

- Es-tu satisfait de la réponse? Je ne veux plus jamais te voir avec cette hypocrite. Et au nez et à la barbe de son idiot de mari, l’adjoint, amoureux transi de la femme du maire qui se moque de lui. Quelle bande! Connais-tu la dernière rumeur: Geneviève serait la maîtresse du maire. Sylvain est tout fier d’avoir marché sur les plates-bandes de son adversaires aux élections municipales, il vient de s’en vanter pendant que tu courtisais cette dévergondée. Si jamais…

-Chérie, as-tu oublié cet instant merveilleux dans la forêt? C’était si bon, mais beaucoup trop rapide. Que dirais-tu d’un remake?

Faute de grive on mange des merles. Faute de receveur, Anne se contente de Julien. Je n’irai pas me plaindre du traitement. La sulfureuse Geneviève écartée, elle tient à me prouver la supériorité de l’épouse aimante sur toutes les concurrentes possibles. Pourquoi irais-je chercher à l’extérieur, j’ai à la maison une amoureuse fidèle, vouée corps et âme à mon bonheur, pliée à tous mes désirs. Je devrais être fier de la voir courtisée par des séducteurs connus pour leur bon goût, mais dont je n’ai absolument rien à craindre.

-De bon goût? Il tire sur tout ce qui bouge, comme ça vient. C’est un collectionneur plus attaché à la quantité qu’à la qualité. Tu appelles ça du bon goût ou est-ce du bon goût parce qu’il a tenté sa chance avec toi? Je n’ai rien à craindre?

Et sa façon de me recevoir en elle, l’intensité de ses étreintes et de ses baisers seraient convaincants, si je n’avais pas sans cesse devant les yeux l’image obsédante de cet écart en direction d’un fourré.

-Absolument rien, je t’assure. Ils me flattent, mais sans espoir et sans la moindre chance d’être satisfaits.
Ne te fais pas de souci, mon amour. Je t’aime, aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain.

Elle a lu ça sur une carte postale. Plus elle veut me persuader de son amour, moins je suis rassuré. A chaque retour de randonnée je devrai trouver un moyen de vérifier que Sylvain n’a pas enrichi sa collection de trophées à mes dépens.

Au cours des deux randonnées suivantes, je n’ai pas quitté Anne des yeux. Toujours proche d’elle, toujours attentif, lorsque pour remonter son sac à dos ou pour en sortir sa gourde elle ralentit le pas et se laisse glisser vers l’arrière, je décroche immédiatement et vole à son aide.

-Je suis là, mon amour. As-tu besoin de quelque chose. Que puis-je faire pour toi?

Je ne lui laisse pas l’occasion de se laisser couler vers le piège à dragueurs en fin de cortège. L’une ou l’autre fois je lis un peu d’agacement dans son regard. Je fronce les sourcils et j’ai droit à un « merci mon chéri. »

Au rassemblement du départ, aux étapes de repos, dès l’apparition de Sylvain je fonce sur lui, lui demande s’il a déjà réussi son coup aujourd’hui, suffisamment fort pour être entendu de notre entourage. J’en vois sourire plus d’un et plus d’une. Anne me demande d’être plus discret, parce que le pauvre prend la fuite à mon approche.

-Sois gentil fiche lui la paix. En t’en prenant à lui, tu attire injustement les soupçons sur ma conduite.
Tu n’as aucune raison de le persécuter. Je t’aime, je t’aime!

J’en suis moins sûr qu’elle. Je veille au grain. Le renard ne dévorera pas ma poule devant moi, si je peux employer cette comparaison.

Aujourd’hui, à mon retour, Anne range rapidement son ouvrage, m’embrasse tendrement et se précipite en cuisine pour me préparer un café. Je soulève le couvercle de son panier et examine la pièce du dessus. C’est une charmante culotte de dame en soie rose. Je me pique à une aiguille: ma petite femme était en train de broder son court prénom dans un cœur à l’avant de l’objet. Etrange, c’est une première. A-t-elle peur de perdre le précieux étui, veut-elle me rappeler son prénom ou veut-elle en faire cadeau à un collectionneur? Souhaite-t-elle que le séducteur puisse reconnaître au premier coup d’œil cette offrande, et la distingue infailliblement parmi toutes ses prises anonymes, emportées souvent par surprise. Ce serait comme une volonté d’exister dans la durée, de faire durer l’adultère, d’en faire une longue histoire d’amour, une liaison sans fin. De sa conduite dans les jours suivants je conclus que la broderie n’est pas destinée à attirer mon attention: elle disparaît. Malgré ma jalousie maladive, je ne cherche pas dans les tiroirs ou les armoires. Mieux vaut croire que l’objet occupe sa place parmi ses semblables.


-Je suis très fatiguée, mon amour et je me suis fait une entorse à la cheville. Je ne pourrai pas participer à la randonnée. J’en suis malheureuse, je me sens si bien quand nous marchons côte à côte. Hélas, demain tu iras sans moi. Je ne voudrais pas te priver de cette sortie.

-Ne t’inquiète pas. Je n’ai pas l’intention de te laisser seule à la maison si tu n’es pas en forme. Montre-moi ton pied. Effectivement ta cheville est enflée. Prends un bain de pied. Je vais appliquer de l’arnica et bander pied et cheville. Et demain je te conduirai chez notre généraliste pour voir ce qu’il faut faire.

-Mais non, c’est un petit bobo, je ne vais pas forcer et les choses se remettront d’elles-mêmes en quelques jours. Non, va à cette randonnée. Mais, attention, pas de… tu comprends. Laisse Geneviève et compagnie. Si tu fais un écart, il y aura une bonne copine pour me le dire; et alors attends-toi au pire.

-Mais

-Il n’y a pas de mais. Tu y vas, un point c’est tout. Embrasse-moi idiot. Je t’aime.

Le pire! Je n’ai pas besoin d’un dessin pour me le représenter. En vérité, ses deux chevilles ont le même diamètre. Elle soupire bien fort pendant que je déroule le bandage. Ce soir en raison de sa grande fatigue, je devrai me contenter de baisers sur la bouche, de caresses prudentes. Il faut éviter une excitation qui pourrait aggraver sa blessure.

- Sage, mon amour. Une pose dans nos habituelles démonstrations d’amour, sera bénéfique et te permettra de recharger les batteries pour le plus grand bonheur de notre couple.
Elle se repose pour accueillir le chevalier blanc et me met à la diète. Mon calvaire continue. Je n’ai pas l’intention de laisser faire.
Quand elle pose son bracelet dans le tiroir de la table de chevet, je vois l’éclair rose d’un objet de soie. Je me souviens, c’est la petite culotte brodée. Elle est privilégiée, à l’écart de toutes les autres, comme prête à une cérémonie prochaine. Demain elle rehaussera l’accueil, demain Sylvain en essuiera la chatte trempée de sécrétions mélangées et la subtilisera pour agrandir son musée des conquêtes féminines.

Anne a pris un analgésique, m’a innocemment souhaité bonne nuit et s’est endormie. Je suis tourmenté, je maudis ce jour où j’ai découvert les histoires de cul de ces randonneurs, les tromperies, les hypocrisies et les risques courus par les plus honnêtes. Comment dormir, agité par une foule d’images déchirantes et par la pensée d’une trahison préméditée. Le sommeil m’emporte après une longue insomnie remplie de fantasmes mêlés aux images crues de la réalité vécue.

Vers neuf heures, Anne me secoue.

-Qu’est-ce que tu fais là? Je te croyais parti. Ils doivent être loin déjà. Si tu te dépêches tu pourras les rejoindre au deuxième arrêt en prenant un raccourci.

-J’étais tellement chagriné par ton problème de santé: j’ai eu du mal à m’endormir. J’en ai oublié de mettre la sonnerie du réveil. Tant pis. Ne t’en fais pas, réjouis-toi plutôt de me garder près de toi dans l’épreuve. Voyons le bon côté des choses

-Indécrottable optimiste. Tu ne changeras jamais. C’est-ce que j’ai aimé par-dessus tout chez toi. Mais parfois, c’est lourd

Le compliment tourne au reproche. J’en comprends vite la raison. A travers les persiennes, j’aperçois sur le trottoir une silhouette et un chien tenu en laisse. L’homme fait un va et vient sur une courte distance en face de notre maison. Qui s’intéresse à l’architecture si simple de notre bâtisse?

-Ma chérie, reste encore allongée, je vais m’occuper de ton pied. Attends, je vais ouvrir les volets.

J’écarte les battants et je reconnais l’individu: c’est Sylvain. Il s’est bien éloigné de la poste! Son chien l’a égaré. Est-ce le chien qui insiste pour accomplir ces allées et venues en face de chez nous?
Je lui adresse un signe de la main. Il me voit, répond à mon geste et s’en va.

-Chérie, je ne serai pas le seul absent à la marche aujourd’hui. Figure-toi que je viens de voir passer Sylvain et son toutou. Je croyais qu’il habitait loin, à la poste.

-Ah! Bon, et il viendrait promener son chien jusqu’ici? Tu es sûr de ne pas confondre Sylvain et un voisin?

Devant tant de mauvaise foi, je m’incline. Si ces deux là ne se sont pas donné rendez-vous, ici, pendant que je marcherais gentiment par monts et par vaux, je donne ma main à couper.

-C’est possible. Depuis votre écart en forêt, je le vois partout. Ce doit être une hallucination de plus.

-Oh! Mon pauvre chéri. Tu me fais culpabiliser. Mais tu ne vas pas imaginer, ah! non, que je lui ai donné rendez-vous? Ô, que je suis malheureuse. Tu me soupçonnes d’infidélité, tu crois que je cours derrière ce pervers!

-Ne pleure pas, j’ai pu me tromper, le soleil m’a ébloui. Que viendrait-il chercher dans notre quartier? Après tout, il est bien libre d’aller se promener où il veut. Et si le hasard lui fait faire les cents pas devant chez nous, cela ne signifie pas nécessairement que tu lui as fixé un rendez-vous.

Les pleurs redoublent, elle oublie sa cheville douloureuse et part en courant vers la salle de bain.

-Attention, tu vas tomber, la bande s’est défaite.

L’avertissement la bloque, elle ramasse l’extrémité de la bande et reprend sa claudication appliquée.

-Chéri, viens m’aider, j’ai besoin de ton aide. Et puis, dis-moi bonjour.

Elle est nue sous la douche, me tend les bras, juge l’effet de sa nudité sur mon sexe, a un sourire enjôleur. Aux baisers fades et prudents du soir succède une ventouse surprise, à réveiller le plus déprimé des maris. Nous attaquons debout avant d’aller mouiller le drap de lit. L’analgésique a supprimé la douleur, il n’en est plus questions, c’est oublié. Appuyée sur les talons elle soulève son bassin pour offrir son sexe en attente, pour réclamer le baiser de braise sur sa vulve gonflée de désir. On est bien au lit pour s’aimer, sans risque d’être dérangé, sans peur des fourmis ou des araignées. Je prends Anne, je la maintiens sur le dos, mes mains encerclent ses chevilles renversées sur ses épaules et je lui prouve qu’il a suffi d’une nuit pour recharger mes batteries. Quand elle crie, ce n’est pas de douleur, croyez-moi. Et pour une fois, sans remords ni regrets, planté au fond du vagin, je déverse à l’entrée de l’utérus une double ration de sperme dont les jets successifs provoquent un orgasme d’une intensité de 9 sur l’échelle de Richter. C’est en tout cas ce qu’il me plaît de penser. Et Anne ne semble pas simuler son plaisir.

Je devrais remercier Sylvain d’avoir rebousté notre activité sexuelle et d’avoir rendu ses ailes à Cupidon.
En attendant la vie peut reprendre son cours. Je m’en veux beaucoup de m’être montré aussi chagrin sans raison valable. Il ne s’est rien passé de répréhensible. Je me suis fait du mal et Anne en a souffert. Au fil des jours, apparaissent certains changements. Aux accès d’euphorie succèdent parfois des heures de mélancolie. J’entends moins de chants, je rencontre des regards tristes, je surprends des mines désolées. A mes questions inquiètes Anne répond

-Je suis songeuse? Pas plus que d’habitude. Tout va bien. Merci de t’inquiéter, mais rien ne le justifie.

Je ne revois plus dans ma rue le sosie de Sylvain ni son loulou blanc. L’autre jour Anne m’a déclaré

-Quand j’aurai brodé mon prénom sur mes culottes, je broderai le tien en bleu sur tes slips, ainsi le plaisantin qui m’a dérobé du petit linge sur le fil du jardin aura peur d’être repéré. Toutes les filles du club ont décidé d’en faire autant pour le dissuader.

-Heureusement, mes parents ne m’ont pas appelé NABUCHODONOSOR! Pourquoi céder à un vent de folie. Ton voleur s’appelle peut-être bourrasque.

Je plaisante pour cacher mon ennui. J’ai cru à la fameuse collection du guignol de la poste. N’a-t-il pas bâti sa légende de grand séducteur sur quelques vols de lingerie intime? Cette légende lui ouvrirait maintenant les portes de la folle du logis de celles qui se vexent d’avoir été oubliées. Leur imagination les conduit à espérer la venue prochaine du prince charmant. Ainsi, la culotte volée, il lui reste à remporter sans résistance une place impatiente de se rendre. J’évite de faire partager mes soupçons pour ne pas alimenter inutilement l’envie d’appartenir au cercle des élues. Peut-être suis-je plus près de la rechute que ma chérie. La paranoïa me guette. J’ai bâti tout un roman sur cette culotte brodée pour apprendre soudain que c’est un effet de mode au sein d’un cercle fermé de ménagères.

Aux joies de la randonnée j’ai décidé d’ajouter le plaisir de la photo. Les paysages, les personnages, les groupes en transformation, les anecdotes croustillantes, les petits événements. Avec un appareil numérique on peut enregistrer un peu tout. Le travail le plus difficile sera le tri, le rejet des photos de mauvaise qualité ou sans intérêt. Ainsi je vais pouvoir parcourir d’avant en arrière le flot des participants, créer une mémoire de nos sorties, et pourquoi pas organiser une exposition annuelle. Sans sermon, la crainte d’être épinglé inspirera de la retenue aux plus audacieux. En même temps, je trouve dans cette activité l’occasion, non formulée, de rendre à Anne un peu plus de liberté dans le choix de ses compagnes ou compagnons de route. Bien entendu je m’interdis les photos compromettantes des couples cachés derrières les feuillages bas ou des personnes obéissant aux impératifs des besoins naturels. Anne supervisera mon travail.

Premier résultat tangible, quand une dame doit s’isoler, spontanément une autre assure sa protection en bordure de chemin. Cette organisation réelle bien que non inscrite au règlement est-elle responsable des absences fréquentes du chasseur de culottes. On le voit de moins en moins dans le groupe. Geneviève s’est beaucoup rapprochée de Sabine. Elles encadrent habituellement l’adjoint en tête de colonne. Les haltes casse-croûte sont plus joyeuses. Sans le vouloir j’ai organisé un concours des plus beaux rires et sourires. Anne paraît plus détendue, hélas trop souvent encore je la retrouve rêveuse. Je lui manque, je la laisse trop souvent seule.
Pourquoi ne marchons-nous pas plus souvent ensemble? Pour lui plaire je diminue le nombre de prises de vues. Personne ne s’en plaint. Mon Sony reste dans ma poche pour un événement exceptionnel. Ce midi, monsieur le maire nous a rejoint en voiture au point de ralliement Geneviève l’accueille officiellement, car Sabine et monsieur l’adjoint se sont attardés pour vérifier le bon déroulement de l’abattage des arbres. Tout le monde a réclamé une photo du groupe rassemblé autour de l’illustre visiteur.
On a dépêché deux coureurs au devant des attardés et on a crié leur nom. Ils arrivent tout rouges et essoufflés. Le malheureux adjoint est suivi par un pan de chemise échappé de son pantalon. C’est l’œuvre, personne ne le contredira, d’une branche facétieuse accrochée pendant sa course. Madame Sabine en rit et raconte le pourquoi du comment. Geneviève redresse la situation: j’immortalise cet instant savoureux où l’épouse remet en place ce que la maîtresse avait dérangé.
Monsieur le maire en sourit. Cet adjoint dévoué est irremplaçable et il le félicite solennellement pour l’ensemble de son œuvre. Sabine applaudit plus fort que les autres ce petit discours improvisé et ces félicitations bien méritées, elle en sait quelque chose.

Après une entorse de la cheville, il faut redoubler de précautions. Les rechutes sont fréquentes. Anne s’est fait très mal en glissant sur un trottoir mouillé. Cette fois je vois sa cheville enflée, ce n’est pas du chiqué.

-Mon chéri, tu ne peux pas manquer cette sortie de samedi. La collation sera servie sous un chêne centenaire en présence des conseillers municipaux au grand complet. Je ne commettrai pas d’imprudence, je veux guérir vite.

-Je pourrais prêter mon appareil à Adrien, il remplira parfaitement mon rôle

-Et tu vas lui laisser cet honneur? Non, ne te sacrifie pas. Je suis une grande fille, je te promets de ne pas m’ennuyer. Je vais profiter de l’occasion pour broder. Veux-tu que je me reproche pendant des années de t’avoir fait manquer un événement aussi rare.

Pourquoi accorde-t-elle autant d’importance à cette collation? Son insistance est étrange. J’ai chassé tous mes vieux démons. Inconsciemment ce besoin de me vanter un incident presque banal réveillent ces abominables soupçons. L’entorse du cœur réclame des précautions, les rechutes sont extrêmement graves. Je vois arriver la peau de banane, je sens mon cœur glisser. Anne en fait trop. Nul n’est indispensable, pourquoi le serais-je, pourquoi veut-elle m’éloigner?

Donc, tôt le matin je rejoins la troupe sur la place. Comme d’habitude Sylvain se fait attendre. On ne s’en émeut plus, c’est devenu une habitude. Aucun mari n’ira le supplier de venir. Adrien est flatté de ma demande, il me remplacera avec plaisir. Tout le monde souhaite un prompt rétablissement, je suis un bon mari et ma femme mérite mes meilleurs soins. Y a-t-il de l’ironie dans ces propos? Je deviens trop susceptible.

Je reprends le chemin de la maison à pas lents. A cent mètres devant moi, d’une petite rue débouche un loulou blanc tirant une laisse. Je me colle dans une porte encadrée d’une haie à tailler. Au bout de la laisse apparaît le maître. Il marque un arrêt, observe la rue et part en direction de notre maison. A-t-il pris l’habitude de suivre cette route le samedi matin? Autre habitude étonnante, des voisins ont dû la noter, il arpente maintenant le trottoir devant chez nous. On n’est pas à Massabielle, quelle apparition attend-il? Si quelqu’un se montre, je le jure, ce ne sera pas une vierge! Les volets sont clos. Le loulou s’impatiente, tire sur la laisse en direction de mon jardin. Ce chien a des habitudes lui aussi. Il a également celle de lever la patte contre les poteaux de la porte: je tiens l’un des coupables de ces traces malodorantes.

Maintenant l’habitué sonne à la porte. Il examine les environs puis attend. La porte s’ouvre. Apparaît Anne, cheveux en bataille. Elle occupe le passage. Ils discutent, Sylvain doit avoir des origines latines, il s’exprime beaucoup avec les mains. Celles d’Anne maintiennent fermée la robe de chambre. La conversation se prolonge sur le pas de porte. Quand on attend quelqu’un pour un rendez-vous prévu, on le fait entrer. Le toutou emporte la décision, il se faufile entre les jambes de ma femme. Il faut le rattraper. La ruse fonctionne, les protagonistes disparaissent, la porte se referme. Depuis quand un toutou est-il capable d’arracher sa laisse des mains de son maître? J’avance, je vais enfin savoir.

Ils n’ont pas pris le temps de refermer la porte à clé. J’entre sur la pointe des pieds. A gauche la porte du salon est fermée. Par la porte ouverte du séjour, à droite m’arrivent les voix.

-Tu as rattrapé ton chien, tu peux t’en aller. C’est quoi cette histoire. Tu es fou mon ami. Je suis mariée, je suis heureuse en ménage, tu le sais. Combien de fois devrai-je te le répéter. Tiens-tu à me compromettre aux yeux du voisinage. Si mon mari apprend que tu me rends visite il va imaginer que je le trompe. Allez, va-t-en

Je ne comprends pas la réplique courte.

-Stop, relève-toi, cesse de me baiser les pieds. Tu es ridicule.

-Je te vénère. Tu es la femme la plus honnête de cette ville, c’est pourquoi je suis tombé amoureux fou de toi. Je te baise les pieds en signe d’adoration

Oui, mais tire tes mains de mes jambes et va raconter ton baratin à d’autres. Ici il n’y a pas de petite culotte à gagner.

-Permets que je vérifie. Oh! Le buisson sacré, la vision divine. Aïe. Oooh!

-Fallait pas toucher. Ca suffit ou j’appelle au secours

-Tu m’ouvres ta porte, il n’y a pas d’effraction, tu vas faire mourir de rire ceux qui voleront à ton secours. Je vois que tu as mal au pied, assieds-toi dans ce fauteuil. As-tu une pommade, je vais te faire un massage léger. Je te respecte trop pour te manquer de respect

-C’est déjà fait. Dégage.

-Je ne suis pas un inconscient comme ton mari. Je l’ai vu sur la place. Il a mieux à faire que d’aller se promener avec son appareil, il devrait être là à tes pieds, à ma place, en train de te masser, de te caresser

-Arrête maintenant, je n’ai pas d’entorse à la cuisse. Ni plus haut. Tire ta bouche, dégoutant, non, ne suce pas.

-Pourquoi? Tu vas voir, je vais te révéler des sensations extraordinaires.

-Mais je ne veux pas, Julien me comble, ça me suffit.

-Julien? Où est Julien? Julien court après les femmes des autres dans les bois pendant que sa malheureuse épouse se morfond seule toute une longue journée dans sa maison. Julien t’a abandonnée. Remercie le ciel de m’avoir envoyé pour te distraire. Ca vaut bien un petit bisou, ma chérie.

-Ôte-toi ça de la tête. Ni bisou, ni distraction. Tu ramasses ton chien et tu vas travailler à la poste. Ca permettra à ta femme de se reposer.

-Depuis un quart d’heure tu discutes, tu m’ordonnes de partir. Tu entretiens une conversation sans but et sans issue. Mais plus ça dure, plus ça te plaît. Tu vois tu n’as pas crié, ta petite gifle ressemblait à une caresse. Tu as envie de faire l’amour avec moi, simplement tu ne veux pas te l’avouer. Ne joue pas à la prude. Une honnête femme ouvre-t-elle sa porte juste vêtue d’un peignoir qui baille sur un corps nu

-Tu es vraiment pitoyable. Il y a un instant tu me vénérais et maintenant je ne suis pas une honnête femme. Mets-toi d’accord avec toi-même.

-Excuse mon emportement. L’amour me rend fou. Laisse-toi faire, une fois, juste une fois. Ton mari est loin, il n’en saura jamais rien. Accorde-toi un petit plaisir innocent, ça ne laisse pas de trace. Juge sur pièce. Et situ y prends goût nous saurons trouver l’occasion de recommencer. Pourquoi être si farouche

-J’aime Julien, je ne t’aime pas

-Le monde est rempli de femmes qui aiment leur mari mais qui prennent des petits suppléments avec des amants. Clinton aime Hilary et se fait sucer par Monica, Sabine aime le maire et baise avec l’adjoint, le maire aime Sabine et fornique avec Geneviève. Etcetera. Tu aimes Julien, c’est certain, ça ne doit pas t’empêcher de faire l’amour avec moi, d’y prendre du plaisir et d’en profiter pour mieux aimer ton mari. La monogamie est source d’ennui. Plus tard tu auras des regrets si tu t’entêtes à contre courant de la société.

-Mieux vaut les regrets que les remords. Bon ton baratin de comptoir a assez duré. Je te prie de sortir.
Peut-être veux-tu te faire casser la figure par Julien?

-Voilà les menaces physiques maintenant. Si julien en avait, il m’aurait cassé le nez cette fois-là dans la forêt quand tu m’as demandé de t’accompagner pour ton pipi.

-Je t’ai demandé d’empêcher les autres de me déranger, pas de venir m’observer.

-Hé! Hé! C’est sûr, tu en voulais plus

-Pauvre Sylvain, si tu prends les vessies pour des lanternes tu vas te brûler, comme disait

-Je m’en fous. Je sais reconnaître une femme en chaleur. Comme tu es là, tu brûles d’envie, mais tu n’oses pas faire le premier pas. Eh! Bien Dieu a créé Sylvain pour t’aider à oser, toi et toutes les gourdes qui confondez sentiments et sensations. Je vais t’enseigner la différence, Tu te prives par ignorance. Je t’apporte la révélation. Accepte ce cadeau du ciel, aime l’amour

-Te rends-tu compte des insanités que tu profères? Tous les arguments éculés de générations de séducteurs maladroits, incapables d’inspirer un véritable amour. Tu perds ton temps avec moi.

Bien, j’ai compris, je pars. A une condition, accorde-moi un baiser d’adieu.

-Et tu t’en iras? Juré?

-Promis juré, si je mens je vais en enfer

-Idiot. Bon, vite et au revoir

Un silence…

-Hum! Non, stop.

-C’est trop bon, encore. Là hum.

-Pas la main, laisse mes seins, salaud. Stop. Ne pince pas, cochon!

-Tu préfères ma main au panier. Je le savais. La touffe, le con, mais tu mouilles! Ha! Ose enfin

- Non, non, non, je ne veux pas. Arrête, tu as juré!

-Encore un peu et tu vas vouloir. Je te le jure

Une rumeur persistante court la ville, propagée par la gazette locale.
Notre très estimé receveur des postes s’est gravement blessé. En quittant Monsieur et Madame Julien Veilleur, après une visite de courtoisie, il s’est malencontreusement pris les pieds dans la laisse de son loulou blanc et a fait une vilaine chute dans un escalier. Sa convalescence pourrait être longue. A cet homme affable nos meilleurs vœux de prompt rétablissement.



Lors de l’assemblée générale du club, en présence du maire et des adjoints, le président fondateur a vivement regretté l’absence de Sylvain. Monsieur le receveur occupait le poste de trésorier et l’un des assesseurs du bureau veut bien assurer l’intérim de notre cher camarade. Celui-ci devra se remettre de ses fractures des avant-bras, des jambes et d’un traumatisme crânien.
Pendant le vin d’honneur, par hasard, placé derrière un pilier, j’entends une autre version de l’accident de ce malheureux Sylvain. Une rumeur non officielle celle-là veut que la laisse du chien soit étrangère à l’accident. Tout le monde connaît la propension de la victime à courtiser les jeunes veuves, mais aussi les jeunes femmes mariées en quête de consolation. Toujours prêt à rendre service aux âmes en peine, il a pris l’habitude d’apporter du réconfort aux femmes délaissées ou insatisfaites, sa nature généreuse le poussant à suppléer aux défaillances de maris stressés ou peu portés sur la chose. (J’entends glousser les narratrices). Adrien et moi avons interrompu notre conversation pour écouter cet éloge rigolard de la générosité de notre compagnon de route. Entre deux rires complices, j’apprends le déroulement prétendument réel de l’événement.

Sylvain serait venu tenir compagnie à mon épouse Anne, ma trop jolie petite femme, objet naturel de convoitise. Apparemment irréprochable. Apparemment, reprend une voix sournoise qui conclut: il faut se méfier de l’eau qui dort.
Il m’aurait vu partir sans elle en randonnée, en aurait déduit soit une dispute dans notre couple soit une indisposition de ma femme. Pris de compassion, il aurait voulu prendre des nouvelles d’Anne, s’assurer qu’elle n’était pas malade ou abandonnée à l’ennui par un mari un peu léger. Selon Geneviève, la visite n’était peut-être pas aussi innocente. Tout le monde avait eu vent d’une tentative de cette sainte nitouche d’Anne pour attirer le séducteur derrière un fourré et de mon intervention précipitée pour séparer le couple isolé. C’est un concours d’élégances.
La jolie jeune femme aurait donc reçu son consolateur, peu résisté à son charme et pour prouver son excellente santé se serait soumise à un examen approfondi mais sans prétention médicale de la part de l’aimable visiteur. En résumé, elle aurait cédé à la tentation. On imagine comment.

Hélas pour les nouveaux amants, le mari (moi donc) serait revenu à la maison pour y prendre un casse-croûte oublié, aurait été attiré à l’étage par des bruits de sommier grinçant et des plaintes. Il se serait porté au secours de son épouse probablement victime d’une chute, pourquoi pas d’une rechute, pour découvrir qu’elle ne gémissait pas de douleur mais de plaisir sous les assauts nécessairement d’une vigueur peu commune menés par le chéri de ces dames. Sous ses yeux furibonds, ce malheureux mari découvrait Adam et Eve croquant la pomme au paradis terrestre, disons livrés aux démons de la chair. « Vous me suivez! ».
On pourrait croire entendre un témoin de la scène. Le cercle des curieux attentifs à l’évocation détaillée de la consommation de l’adultère s’élargit. Entre deux gorgées de champagne ou de jus de fruit on opine du bonnet ou on se livre à des gorges chaudes. Les histoires de cul font toujours recette, surtout quand cul rime avec cocu.

Furieux, à juste titre, le cocu ( moi) aurait mis fin à l’orgie, privant son épouse d’un orgasme imminent, aurait attrapé l‘amant au bord de l‘extase, l’aurait arraché de sa proie frappée de stupeur et jeté dans l’escalier suivi de ses vêtements répandus sur le sol. Puis, malgré les cris de la femme repentante, horrifiée par le déchaînement de violence engendré par sa conduite coupable, il aurait projeté l’infortuné receveur dans l’escalier extérieur en béton.

Le premier, Sylvain, pris de remords et l’autre, Julien, apitoyé par l’état lamentable du blessé, Sylvain et moi aurions pour des raisons très différentes inventé la fable de l’accident en attendant les secours. Sylvain ne tenait pas à divulguer ses activités extraconjugales, je n’avais aucun intérêt à révéler mon peu glorieux cocuage ou à affronter un interrogatoire qui dévoilerait à quel point je pouvais être violent. La honte d’avoir été surprise en flagrant délit avait réduit Anne à un silence complice. Avait-elle tout vu? Elle devait avant tout se présenter dans une tenue convenable après des galipettes aussi chaudes.

Les commentaires vont bon train, les opinions sont partagées.

Les deux amies interchangeables dans le lit du maire et de l’adjoint, se refont ainsi une virginité aux dépens de la réputation de mon épouse et de la mienne. Elles pourront se vanter d’avoir captivé l’auditoire
Je sors de l’ombre. Le cercle se disperse lâchement. Les deux commères me regardent avec commisération.

-Sabine, j’aimerais vous dire deux mots en particulier, puis je souhaiterais un petit entretien avec Geneviève. M’accorderez- vous cette faveur?

Comment s’échapperaient-elles, elles sont, avec moi, le point de mire de l’assemblée.

A l’écart, je demande à la première de faire une déclaration publique immédiate démentant formellement ses déclarations précédentes. En cas de refus, je me verrai dans l’obligation de rendre publics ses agissements dans les fourrés avec monsieur l’adjoint. Même si les faits se sont déroulés avec la bénédiction de son mari (ce serait un comble), digne maire et cocu notoire si je parle, leur publication accompagnée de photos (je bluffe, mais elle connaît ma passion pour cet art) créera un scandale capable de compromettre les résultats des futures échéances électorales. La population ne pardonnerait pas cette conduite blâmable aux chantres de la morale. Pour faire bonne mesure, je lui laisse entendre que son propre mari n’est pas aussi vertueux qu’elle semble le croire. Veut-elle des noms? Ses sources pourraient la renseigner.

Toute pâle, elle va m’envoyer l’autre langue de vipère. A Geneviève je rappelle une journée dont elle vient d’évoquer le souvenir en oubliant ses confidences sur ce bon Sylvain et leur disparition derrière une certaine meule de paille. Si par ailleurs elle veut faire répandre le bruit de sa liaison avec le mari de sa comparse, il suffira de continuer à salir notre réputation. Elle se confond en excuses. J’exige un démenti public.

Je demande la parole. En réponse à mes questions, ces dames reconnaissent ne pas avoir assisté aux faits relatés, ne connaître aucun témoin oculaire de l’accident, n’avoir reçu aune information d’une personne qui aurait pu apporter la moindre preuve, et avoir simplement colporté des bruits sans fondements. Elles s’excusent publiquement d’avoir participé à répandre cette rumeur. Le public en reste bouche bée, mais ceux qui ont surveillé de loin, mon entretien avec les deux mégères ont compris: leur rétractation ne doit rien à leur générosité légendaire. Certains doivent se douter de la cause réelle de ce retour à de meilleurs sentiments. Si elles ont accepté aussi vite de présenter des excuses, je dois avoir de quoi les avoir fait plier.

Ainsi l’honneur de ma femme est-il sauf et, de cocu vengeur, je redeviens l’époux soucieux de protéger de la calomnie un gentil couple si sympathique. Mais comme le disait Voltaire: « Mentez, il en restera toujours quelque chose ». Le maire en personne me félicite d’avoir mis fin à une vilaine rumeur qu’il entendait avec peine et à laquelle il avait refusé de croire dès l’origine. Il rebondit sur l’occasion pour rappeler tout le mal ressenti par une communauté frappée par des rumeurs infondées et exhorte ses chers concitoyens à rejeter en toutes circonstances la tentation de céder aux ragots malveillants. L’assemblée applaudit poliment. Le comité remercie nos illustres visiteurs. Je reçois quelques témoignages de sympathie. De la part des maris cela sonne comme des remerciements, dans les yeux de quelques épouses je lis une étincelle d’admiration.

-Alors, c’était comment, cette assemblée générale? Me demandera Anne

-Comme toujours, long et ennuyeux. Le vin d’honneur a plus de succès que les comptes-rendus d‘activité ou le quitus des commissaires aux comptes!

-Le médecin et le kinésithérapeute partagent le même avis: après rééducation Anne devra ménager sa cheville jusqu’à véritable consolidation. Ils lui recommandent de ne pas accomplir de longs périples pendant deux ou trois mois. Malgré elle, je décide donc de renoncer à ce plaisir. Mais après ma première défection, Anne revient à la charge. Elle a reçu la visite d’Isabelle, Cécile et Alexia. Les bonnes copines ont regretté mon absence, ont vanté le courage avec lequel j’avais défendu son honneur et souhaitent me voir reprendre place dans l’équipe. Je n’ai donc pas pu lui épargner leur bavardage. Elles veilleront particulièrement sur moi pendant son absence. Anne aimerait savoir comment j’ai obtenu les excuses de ces deux dames.

Pour la tranquillité d’esprit des participants, le comité a convié un journaliste à prendre des photos officielles des déplacements et recommande aux photographes amateurs de ne plus troubler le bon déroulement des randonnées en prenant des photos surprises tendancieuses. Je sais d’où vient le coup. Elles n’ont pas osé réclamer l’interdiction des appareils. Le président, de peur d’une scission, aurait refusé une fouille des effets et sacs, préconisée par l’adjoint! La décision ne pouvant pas avoir d’effet rétroactif, prié de remettre l’ensemble des photos de la saison précédente, en vue d‘une exposition des meilleures triées et choisies par un jury impartial, j’ai fait valoir que payées de mes deniers, elles m’appartenaient. On m’a promis une indemnisation, j’ai réclamé de pouvoir imposer certaines vues particulièrement intéressantes selon moi. On n’en parle plus! J’ai raconté à mes accompagnatrices la pression exercée. Un vent de révolte s’est levé, la base a grondé, et à mon insu chacun et chacune s’est fait un malin plaisir de porter ostensiblement son appareil photographique sur le lieu de rassemblement du mois suivant.

Désormais, après une marche arrière spectaculaire du comité, à chaque inspection d’un chantier forestier la dame Sabine est escortée par deux ou trois chroniqueuses-photographes. Elle devra choisir d’autres occasions pour assouvir ses passions. Une jeune nouvelle, ignorant le lien marital de l’adjoint et de Geneviève, interrogée par cette dernière sur les raisons de cet acharnement des photographes contre son amie Sabine, lui a crûment révélé les amours cachées des deux amants. Geneviève stupéfaite a giflé le petit tyran municipal et l’a séparé d’une Sabine rouge de honte à la suite de l’étalage public de ses aventures. Le conseil municipal trimestriel a été houleux, le maire et l’adjoint se sont violemment empoignés à propos du budget communal en présence d’une assistance exceptionnellement nombreuse.

Etrange, Sabine s’est déplacée pour prendre des nouvelles d’Anne, lui a offert de sa part et de la part de son mari une bonbonnière, m’a chaudement recommandé de soigner ma chérie. Ingénument elle m’a laissé entendre que le maire me verrait volontiers figurer en bonne place sur sa liste. Quand Geneviève à son tour s’est inquiétée de sa santé, Anne m’a demandé ce que j’avais tramé pour lui gagner ces marques d’amitié. Je ne lui ai pas parlé de l’offre du premier adjoint, via son épouse retrouvée, de m’inclure dans sa future équipe.

Ainsi, pour avoir bousculé un peu brutalement, en l’absence de témoin, un audacieux séducteur, occupé à lutiner et à importuner sexuellement mon épouse je deviens, aux yeux des autres, celui que je ne suis pas. Parce que quelques mignonnes créatures m’ont idéalisé j’aurais des aptitudes et des compétences nouvelles. Je crois avoir posé pour une photo « nous deux seulement », avec toutes les randonneuses. Certaines ont voulu poser entre leur mari et moi. Cet engouement aura heureusement une fin quand Anne reprendra les chemins en me donnant la main. Je ne tiens pas à perdre mes meilleurs amis. La rumeur naît si vite.

Sabine a voulu que j’expertise avec elle l’opacité d’un fourré. Je devrais savoir si un sanglier pourrait s’y installer confortablement, ou des amoureux s’y retrouver un soir de clair de lune dit-elle en plaisantant. Le hasard a voulu que s’ouvrent deux boutons de sa blouse et deux seins laiteux gonflés de désir m’ont ébloui. Je regardais éberlué, une main impérieuse a saisi ma nuque, ses yeux pleins de langueur m’ont ordonné de céder à la pression de la main. Mon nez a quitté la moiteur du sillon entre les deux globes parfumés, ma bouche est passée d’une aréole à l’autre, a sucé deux tétons durs. Le courage de résister m’a manqué. Nous nous sommes embrassés, encore et encore. J’étais perdu. J’ai émis un avis assez vague sur la qualité de l’endroit. Sabine a pris note et m’a remis la page arrachée à son carnet. Elle comportait une adresse, une date et une heure.

-Je t’attendrai, sois à l’heure. Nous ne ferons pas ensemble la fin de la randonnée pour ne pas donner l’éveil.

Je marche à côté de Jérôme et de son adorable Cécile. Qu’a-t-il donc à bouder? Cécile pépie, il fait la gueule. Par chance Geneviève vient à mon secours. Elle doit me transmettre un message.

-Asseyons-nous sur ce banc. Soyons discrets, je préfère ne pas être vue par Sabine. Nos accords, s’ils restent secrets seront plus efficaces. Nous sommes les derniers.
Et voilà, j’ai droit à une folle déclaration d’amour. Elle s’assied sur mes genoux, me prend par le cou sans attendre un refus et fouille ma bouche. Si c’est un piège, elle n’hésite pas à y être étroitement mêlée. J’en sors et j’y replonge. Après le baiser de Sabine, vient celui de Geneviève. Un baiser n’est pas un autre. Chacune a sa technique, à chacune sa saveur particulière. L’un est-il meilleur que l’autre? Je goûte, je savoure, je voudrais donner une note. Impossible de les départager. Il faudrait plus de temps. Je n’en reviens pas. Alors, je me retrouve avec un tissu léger en boule dans la main. J’ai vu le même il y a quelques mois dans la main de ma femme!

-Ce soir, il est trop tard. Mais regarde ce qui t’attend. Debout elle soulève le bas de sa robe. Dis-moi, tu le préfères barbu ou rasé?

-Euh!

-Prends. Bon, tu es indécis. Ce sera d’abord barbu, puis rasé la fois suivante. Tu embrasses comme un dieu. A bientôt, beau gosse

C’est une carte de visite avec une adresse, une date et une heure. Toute frétillante elle se met à courir!
Beau gosse! Je vais devoir m’examiner dans la glace le matin en me rasant.

Abasourdi, je me souviens de l’existence d’un raccourci par lequel je vais me retrouver dans le groupe, sans me faire remarquer si j’allonge le pas. Les deux, le même jour! C’est un complot. Je ne crois pas aux coïncidences. Deux dates différentes, deux hôtels éloignés, à 18 heures. J’enregistre, je déchire les convocations? Non, il y a peut-être mieux à faire. La petite culotte. Que faire de la petite culotte? Je n’ai pas l’intention d’imiter le receveur. Il vient de reprendre le travail. Il m’a salué. Je l’ai trouvé triste et abattu. Je vais lui remonter le moral. Il sera le premier à ouvrir un petit colis et à y découvrir l’objet perdu il y a des mois, accompagné d’une carte de visite avec un rendez-vous. Reste le rendez-vous de la femme du maire, le lendemain. Qui en sera l’heureux bénéficiaire? Je pourrais tenter de réconcilier les deux clans ennemis du conseil municipal en rapprochant Sabine de l’adjoint?
Sylvain pendant sa cure post opératoire s’est retrouvé célibataire: sa femme est partie avec le facteur! Persuadé de ne plus faire rire son supérieur, le facteur a demandé et obtenu sa mutation.
Sylvain supportera-t-il deux rendez-vous galants aussi rapprochés? Je lui dois bien ça. Il pensera moins à la conquête d’Anne.

Mais? Et ça, dans la poche de ma gourde! Quoi, encore une petite culotte. Mais sans broderie. Ce soir je vais à confesse. Il faut, oui, il faut mettre Anne au courant des dangers que je cours.

Sur la place on se dit au revoir

-A bientôt, me dit Sabine avec un sourire engageant, plein de malice. Prends cette enveloppe. N’oublie surtout pas. Je t’attendrai.

- Curieux, me dit Geneviève, tu pactises avec l’ennemi. C’est quoi cette enveloppe?

-Sabine envoie un mot à ma femme.

-Elle lance la campagne électorale de très loin. J’en ferai autant, j’écrirai à cette chère petite Anne. Mais ne lui montre surtout pas le contenu de cette enveloppe.

-Alors, mon amour tu ne t’es pas trop ennuyé, tu as été sage?

-Je peux te retourner la question.

-Deux visiteurs ont demandé après toi. C’est curieux, le maire et l’adjoint savaient certainement que tu marchais, entouré de douces colombes. Ils ne peuvent pas ignorer que leurs légitimes font partie de la randonnée. L’un est arrivé à onze heures trente, à l’heure de l’apéritif, tout sourire, la bouche en cœur. Il attend ta réponse à « la question que tu sais ». Nous avons trinqué, il a voulu voir ma cheville et n’aurait pas dit non si j’avais voulu lui en montrer un peu plus. Il m’a couverte de compliments à me faire rougir jusqu’à la racine des cheveux: Si tu ne le savais pas, tu es l’heureux époux de la plus appétissante électrice de la commune, m’a-t-il susurré en sirotant son pastis, l’œil de velours, en attente d’une invitation à être plus entreprenant. Il aurait joué au gros méchant loup dévorant avec appétit le petit chaperon rouge. Il aimerait me laisser en souvenir de notre amitié citoyenne une photo de moi à côté de lui, décoré de son écharpe. Je suis invitée à passer en mairie le 15 à 18 heures.

-Ce serait un grand honneur. Pendant que je cours les sentiers, madame reçoit monsieur le maire et prend un rendez-vous. Sylvain ne t’a pas suffi? Veux-tu faire de moi un serial killer? Combien d’autres devrai-je expulser manu militari pour correspondre à mon image?

-Chéri, pourquoi revenir sur cette lamentable aventure? Quand on tient un chien en laisse, on regarde où l’on met les pieds.

-Mais oui. Et l’autre?

-A l’heure du café, vers 14 heures, je reconnais dans le judas la moustache en guidon de vélo du mari de cette Geneviève. Tout aussi mystérieux il veut connaître ta réponse. Il t’aurait proposé une place d’adjoint. Je serais dans son équipe, en qualité d’épouse, un rayon de soleil. Mais si tu hésites trop, il pense me proposer ta place. Il saura, à raison de réunions régulières dans le calme de son bureau à la mairie, m’inculquer les notions de base de la conduite d’une commune. Une femme aussi belle, c’est lui qui le dit, doit nécessairement savoir rendre d’éminents services à son maire.

-Eh! Bien, voilà de bonnes nouvelles. Tu es l’étoile montante, l’égérie du futur maire, quel qu’il soit Je n’ai aucune ambition dans ce domaine. Mon travail et ma chérie me suffisent et je tiens à garder un peu de liberté pour mes loisirs. Certains adorent diriger une commune, passer leur vie en réunions. Pourquoi irais-je leur disputer la place, je me sens plus fait pour l‘amour. Mais je serais fier d’être l’époux d’une conseillère élue surtout si elle partage les responsabilités d’adjointe. J’apprécierai moins de te savoir désignée comme la maîtresse en titre du premier magistrat avant même de lui avoir rendu les éminents services attendus d’une aussi jolie créature. Quel camp vas-tu choisir?

-Je te vois venir. Moi au travail, en réunions, toi en train de faire l’amour avec des péronnelles.

-Ignores-tu vraiment le goût des hommes puissants pour les jolies femmes? La passion du pouvoir décuple l’appétit sexuel. Toutes les réunions en mairie ne sont pas des réunions de travail. Les deux premiers magistrats de la commune ont une solide réputation d’amants de qualité. Avant de choisir, teste-les au lit. Et suis le plus puissant. A son ardeur en amour, tu mesureras ses chances de gagner les élections. Ca vaut la SOFRES. Par hasard, aurais-tu un rendez-vous avec Joël le 14 à 18 heures?

-Mais comment l’as-tu deviné. Tu ne m’as pas laissé le temps d’en parler?

-As-tu l’intention de te présenter chez l’un ou chez l’autre? D’ailleurs tu pourrais rencontrer les deux. Je viens de te conseiller de les tester. Compare, compare l’art de t’aborder, compare les outils, longueur et épaisseur en érection, qualité et fermeté du glaive en dehors et dans le fourreau, compare la façon de s’en servir. Lequel est le mieux armé, le mieux monté, le plus aguerri, le plus vigoureux, le plus endurant, lequel te transporte le mieux au septième ciel et t’y fait planer le plus longtemps, lequel, dans l’intimité de son bureau, sera en mesure de te servir le plus longtemps. Avec le temps et l’expérience, devenue maire à ton tour, tu choisiras tes amants.

-Bon, tu as fini de te moquer, de me traiter comme une dinde à farcir.

Bien trouvé. Te farcir: ils en rêvent!

Avant de connaître ma décision, tu crèves déjà de jalousie, tu ironises. Tu me dis d’y aller pour le plaisir d’être le malheureux mari trompé. Et, oui, Joël m’attend le 14 à 18 heures. Monsieur sait tout, j’aimerais savoir qui te l’a dit.

-C’est mon petit doigt.

-Si tu continues, je vais me fâcher et pour me venger j’appliquerai tes bons conseils le 14 avec l’adjoint et le 15 avec le maire. Tu auras droit à un rapport à mon retour, si tu ne t’es pas endormi en m’attendant.

-C’est parfait. Mais j’aurai peut-être une autre bonne raison de m’endormir

-A savoir? Tu t’es promené avec ta basse-cour et tu es tout excité. Allez, allez, raconte, tu brûles de l’envie de m’éblouir en racontant tes prouesses. Tu as forcément marqué des points, tu as fait mieux que moi, macho.

Jamais je n’avais entendu ce terme dans sa bouche. La visite des illustres personnages l’a transformée.

-Si nous nous calmions. Oublions de nous chamailler. J’ai l’impression que nous frôlons une catastrophe. Pour moi cette catastrophe, c’est un éclatement de notre couple.

-Je l’ai dit. Tu es jaloux et tu prends un ton solennel. Tous les moyens sont bons pour me dissuader d’entrer dans la vie publique. Trouve autre chose de plus convaincant. Pourquoi notre couple éclaterait-il? Le maire est marié, l’adjoint aussi. Il n’y a que deux célibataires au conseil municipal.

-Si tu l’entends ainsi, je n’ai plus rien à dire.

-Allez, dis-le. Tu es fait pour l’amour et tu as rencontré l’amour au bord du chemin… Dis, parle, vide ton sac. Il fallait bien que ça arrive un jour. Tu vas partir avec une autre? Et tu cherches à prouver que je veux te tromper, que c’est moi l’infidèle. C’est ça? Ne sois pas lâche.

-Vraiment tu ne me simplifies pas les choses

-C’est de ma faute, c’est ça?

Elle pleure. Suis-je idiot de tourner autour du pot.

-Bon. Tu te souviens de la petite culotte que tu avais dérobée à Sylvain?

-Eh! Oui. Celle de Geneviève.

-Tu l’avais en main, mais tu ne l’avais pas enlevée à Geneviève?

-Où veux-tu en venir? Ce que tu peux être compliqué.

-Voilà, Reconnais-tu ceci?

-Je l’avais jetée à la poubelle, tu l’as reprise dans mon dos? Oh! Tu as fait l’amour à cette cochonne et tu viens demander pardon? Explique-toi.

-Ne m’interromps pas constamment. Si tu m’aimes, n’imagine pas le pire. Il y a une action concertée pour nous détruire. Geneviève sous prétexte de me délivrer un message a voulu nous isoler sur un banc. Elle a attendu que nous soyons seuls, s’est jetée à mon cou, m’a embrassé par surprise. Je ne l’ai pas repoussée. Elle s’est servie. Puis elle m’a spontanément mis, cette culotte en main, avec ce carton, un rendez-vous le 14 à 18 heures, dans un hôtel, loin d’ici

-Et moi, je dois gober ton histoire!

-Eloignés par deux rendez-vous, nous serons deux proies faciles. L’adjoint craint de dévaler les escaliers de la mairie un peu trop vite, si je suis à proximité. Sa femme n’a pas digéré de devoir nous présenter des excuses.

-Dans ce cas, oublions-les. Je t’aime, je veux croire qu’elle t’a surpris. Tu réciteras deux pater et deux ave. N’en parlons plus et choisissons d’en rire. Mais qui d’elle ou de moi embrasse le mieux?

-Si c’était tout! Voici autre chose, j’ai trouvé cette autre culotte au fond d’une poche de mon sac à dos.

-Ah! La collection compte deux pièces. Seras-tu encore capable de me faire l’amour ce soir? Tu t’es dépensé sans compter. Qui est l’heureuse élue? Ce truc est tombé du ciel et sur mon front tu lis « conne » ou « cocue »?

-Tombée du ciel? Je ne sais. Je ne connais pas la donatrice anonyme. Elles deviennent hystériques.
Ce soir en me quittant Geneviève m’a remis cette enveloppe. Je ne sais pas ce qu’elle contient, mais j’ai peur de deviner. C’est un moyen de pression probablement.

-Donne. Bien sûr. Dis, tu embrasses bien, toujours consciencieux et appliqué à l’ouvrage. Moi j’aurai un portait du maire. Toi tu as déjà posé et qui tenait le polaroïd? Tu as raison, ça pue le piège. Puisque tu m’as tout dit, que Joël aille se faire voir. Je choisis le maire!

-C’est que

-Quoi encore, ne me dis pas qu’il y a autre chose.

-Si, justement. Tiens, regarde cette enveloppe et cette feuille.

Finies les précautions, je livre tout.

-Ben dis donc, tu ne t’es pas ennuyé aujourd’hui. Que faisais-tu dans les broussailles avec la grande blonde. Ca a l’air de te plaire. Comme je le disais, tu ne fais jamais les choses à moitié. Tu n’as pas besoin du corps électoral pour être élu par ces garces. C’était un concours organisé et sponsorisé par quelle marque de dentifrice? Pour le coup, toi tu as comparé. Tu peux juger sur pièces. Avec ça, un rencard pour un cours de perfectionnement, le 15 à 18 heures, à l’hôtel, pendant que je serai occupée avec le maire. Et encore une photo au polaroïd… Ce n’est plus un appareil très courant. Le même photographe t’a surpris pour le compte des deux camps. Sabine doit avoir la même raison que Geneviève de te démolir depuis votre AG. Gros benêt tu t’es fait avoir. J’ai une bonne raison de te faire confiance: tu ne m’as pas caché la petite culotte que j’avais glissée dans ton sac, pour m’amuser.

-Tu ? Qui de nous deux est le plus jaloux?

-Ne t’inquiète pas. Je suis de ton avis. Des gens veulent se venger. Nous avons dérangé leurs habitudes, ils veulent nous le faire payer, en nous séparant. Ils vont être déçus. Nous avons parlé, nous nous faisons confiance, c’est notre force. Leur chantage est un pétard mouillé. Comment répliquer? Qui peut posséder un polaroïd? Un collectionneur d’appareils photos. Charles, le fameux journaliste photographe chargé un temps des photos officielles, recalé par votre fronde des amateurs, s’est-il inscrit au club?

-Je ne l’ai pas vu. Il s’est contenté de photographier l’arrivée en fin d’après-midi.

-Il doit aussi ruminer une vengeance et être prêt à obéir à ces dames. Il s’est posté à des emplacements prévus, il a pris ses photos, pour les remettre sous enveloppe à Sabine et Geneviève, sur la place. Il va recommencer le 14 et le 15. Mais où? Contre moi ou contre toi? La solution est simple. Ces photos sont désormais plus compromettantes pour ces femmes que pour toi. Si je te fais confiance, elles ne peuvent pas te faire chanter. Tu les scannes pour garder l’original et tu me remets une copie de chaque. Elles vont apprendre de quel bois je me chauffe.

Forte de la cour des deux visiteurs, elle va leur faire savoir qu’elle tient à leur communiquer une réponse dès le lendemain. Elle attendra l’un à 17 heures et l’autre vers 18 heures. Elle aimerait les recevoir à domicile, pour des raisons de santé, le plus discrètement possible, en l’absence de son mari. Après quelques précisions, elle leur communiquera nos positions.

Monsieur le maire est présent devant la porte à 16heures 55. Persuadé d’avoir impressionné Anne, il est jovial, remercie de la rapidité de la réponse. Il louche hardiment sur les seins involontairement exposés par un décolleté profond. Anne croise les genoux, il s’étouffe en découvrant l’arrondi du genou et le galbe fuyant des cuisses. Il accepte avec plaisir l’apéritif servi et oublie le but de sa visite en reluquant le balancement de la croupe de cette petite. Il reprend les compliments de la veille, se dit si heureux d’être reçu par une aussi charmante jeune femme, multiplie les platitudes. Et tout à coup le voici à genoux déclamant à haute voix un amour ancien. Il se libère, implore l’indulgence, promet un avenir radieux à un amour passionné et éternel, bien que secret par nécessité. Le vieux beau se croit irrésistible. Anne lui ordonne de se relever, lui tend une main pour l’aider. Il glisse, se rattrape comme il peut, se retrouve dans les bras de ma femme. Surprise elle pousse un cri, le repousse, il atterrit décontenancé dans mon fauteuil.

-Monsieur le maire, je suis très émue de vos paroles. Je dois vous rappeler toutefois que je suis mariée. J’aime mon mari, mon mari m’aime. Vous m’avez dit hier que vous l’estimiez au point de souhaiter l’enrôler dans votre équipe. Je veux vous communiquer le fruit de notre réflexion. En raison du comportement anormal de certaines personnes, nous devons décliner votre offre.

-Ce n’est pas sérieux. Expliquez-vous. Nous allons lever cet obstacle. De quoi s’agit-il? Pour vous je ferai n’importe quoi.

-Certaines personnes harcèlent sexuellement mon époux et lui rendent la vie difficile. J’en suis malheureuse. Il s’est confié à moi. Le rang de ces dames leur permet des excès honteux.

-L’heureux homme! Euh…Et il s’en plaint? Que souhaitez-vous? De qui s’agit-il, avez-vous des preuves?

-Une dame l’a attiré à l’écart hier, l’a embrassé en présence d’un photographe caché et prétend l’entraîner à l’hôtel. Elle lui a fixé un rendez-vous et menace de répandre des photos s’il ne s’y rend pas.

-Je ne vois pas le rapport avec sa présence sur ma liste.

-La photo en question pourrait faire scandale. Je ne sais pas si je peux vous la montrer.

-Mais, si. Mon petit, dans ma position on en entend et on en voit de toutes les couleurs. Je vais user de mon influence pour mettre le holà. Où est cette photo? Osez, soyez sans crainte.

-Voyez!

-Oh! Votre mari et ma femme. Il l’a séduite. Le saloupiot. Il serait temps de vous venger, et de la meilleure manière. Je suis là pour vous consoler et sans attendre.

Il avance sur elle, elle se dérobe en tournant autour de la table basse. Je choisis cet instant pour rentrer chez moi en appelant

-Mon amour. Coucou Anne chérie!…. Ah, bonjour monsieur le maire. C’est un plaisir et un honneur de vous recevoir.

-Et ça, c’est aussi un plaisir de pervertir ma femme? Aller raconter qu’elle vous harcèle, quel scandale. Jeee…

-Vous connaissez son écriture? Examinez cette convocation de sa main. Accepteriez-vous de m’accompagner pour vérifier si j’invente? Je vous prie de me croire et d’accepter d’éviter le scandale que provoquerait la publication de photos semblables. Je reconnais avoir été surpris par la fougue de madame, avoir eu un moment de faiblesse et même d’avoir pris un certain plaisir à embrasser assez longuement une femme aussi jolie, qui se jetait dans mes bras, me suppliait de l’aimer, de lui faire enfin connaître le véritable amour.

Là je ne mens pas, mais je prends plaisir à remuer le couteau dans la plaie, à broder, à maltraiter son amour propre devant ma femme.

-Aussi en raison de cette passion que je ne partage pas et par respect pour votre personne et pour votre œuvre -basse flatterie-- je me sens indigne de vous seconder. Par ailleurs, je ne vois pas de raison de céder au chantage exercé par votre épouse qui m’a remis cette photo, je ne me rendrai pas à ce 5 à 7 humiliant. Notez les coordonnées et faites ce qu’il vous plaira.

Anne l’achève:

-La suite des événements m’interdit, monsieur, de vous rencontrer en mairie, le même jour à la même heure. Vous aurez ainsi la possibilité de surveiller l’infidèle.

Au maire a succédé l’adjoint. Même scénario à une exception près. Plus leste, il prétendait ne pas lâcher Anne. Mon arrivée en réponse à ses cris l’a calmé. Il a regardé vers la porte, craint une dégringolade douloureuse. Mais il a accepté une explication entre hommes. Je n’avais pas à protéger sa femme. Le chantage me dégoûtait. Alors il a entendu parler du pays. Ignorait-il tout ou partie du contenu de mes révélations, en savait-il plus ou moins? Il repartit muni de la copie d’une photo et de l’invitation à l’hôtel. Nous resterons neutres dans les campagnes électorales si on daigne nous abandonner à notre bonheur.

Ni le maire ni l’adjoint ne se sont déplacés. Sylvain n’a été dérangé ni par l’un ni par l’autre lors de ses deux rencontres. Sabine est paraît-il le meilleur coup de la région. A sa beauté naturelle elle joint un charme, une ardeur et des audaces incroyables. Il voudrait me donner des regrets. Au lit c’est un ouragan, un déferlement, un enchantement. Avec elle tout est permis, tout est possible. Geneviève n’est pas à négliger, mais comparée à l’épouse du maire, elle laisse une impression en demi-teinte, interdit encore certains accès de son corps. Pourquoi veut-il nous livrer autant de détails sur cette rencontre extraordinaire? Il insiste sans pudeur sur les atours, les couleurs, les formes, les odeurs, décrit avec un malin plaisir les positions, les orgasmes violents, sa maîtrise retrouvée et ses prouesses renouvelées. Anne tend l’oreille, ne peut pas cacher l’émotion engendrée par le récit osé à dessein et sa rougeur encourage le narrateur. Le renard est revenu dans le poulailler. Le paon fait la roue. Prend-il Anne pour une paonne?


Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. J’ai raccroché mes chaussures de marche. Anne tient à continuer, ses bonnes amies l’ont convaincue des bienfaits de la marche sur la silhouette. Me le répéter, c’était prêcher un converti, mais j’ai décidé de ne plus entrer en contact avec certaines personnes peu fréquentables. Quand randonnée il y a, je vais à la pêche. Gentiment Anne me prépare un repas à tirer du sac. Nous nous quittons sur un baiser de jeunes amoureux. Le soir, j’ai droit à tous les bruits de la caravane devenue miraculeusement très sage depuis mon retrait. En somme comme avant le spectacle que m’avaient offert Sabine et Joël. Tant mieux, je ne doute pas de la fidélité indéfectible d’Anne « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». Elle l’a promis devant le maire, l’a juré dans l’église de son baptême devant le curé et en présence d’une foule de parents et d’invités. Elle a traversé des épreuves difficiles à mes côtés, sans défaillance. Le calme revenu chez les randonneurs me donne une sorte de sérénité bienheureuse. Je suis content de savoir les tentations éloignées. Et je pars à la pêche le cœur léger.

Le poisson ne veut pas mordre aujourd’hui. Quelques misérables goujons ont été rejetés à l’eau. C’est tout. Les moustiques m’ennuient. A quoi bon insister? Je vais rentrer, lire tranquillement mon journal, faire une petite sieste et faire une surprise à mon amour, je vais préparer le souper. Fatiguée par la marche, elle saura apprécier l’attention. Après l’effort je lui accorderai le réconfort. Je rêve d’une folle nuit d’amour. A vélo…

Du coin de la rue j’aperçois un petit groupe qui entre dans mon jardin et disparaît dans la maison. Les marcheurs sont déjà de retour. Anne a invité quelques amis pour un café. Si elle m’avait prévenu, j’aurais pu préparer…
Je dépose vélo et attirail de pêche dans le chalet et j’entre dans la maison par la réserve, grande pièce, a l’arrière, symétrique de la cuisine par rapport au couloir. A l’avant il y a le salon qui communique avec cette cuisine et de l’autre côté du couloir, la salle à manger peu utilisée en dehors des repas avec invités. Du milieu de ce couloir traversant monte l’escalier. A l’étage, à l’avant deux chambres à coucher, au-dessus de la réserve la grande salle de bain et en face une chambre vide. Nous la meublerons pour fille ou garçon le jour où arrivera le bébé.

Les visiteurs sont installés au salon.

-Bon, ne perdons pas de temps. Je préfère que les choses soient terminées au retour de Julien.

Ah! Si on me cache des choses, au lieu d’aller saluer, je vais rester en retrait et écouter.

Cécile et Nathalie, vous prenez l’escalier. Cécile tu connais les lieux. Vous allez dans la chambre au-dessus du salon. Vous utilisez la salle de bain, dans le meuble du lavabo vous trouverez le nécessaire. Quand vous aurez fini votre toilette, vous appellerez Sylvain, il vous rejoindra.

-Et toi, tu viendras? Demande la voix de Nathalie.

-On verra si j’ai le temps. Allez, filez. Et soyez heureuses.

Sylvain s’adresse à Anne pendant que les deux femmes gravissent les marches.

-Je croyais que tu voulais les voir à l’œuvre. Tu ne vas pas me laisser seul spectateur. Depuis si longtemps j’attendais de voir deux filles s’aimer. C’est une occasion rare. Tu devrais en profiter aussi. Qui sait, ça pourrait te donner des idées et nous pourrions faire une partie carrée.

-Je te reconnais bien à ça! Pas question pour moi. Tu regarderas ou tu participeras. Si Cécile n’avait pas insisté pour t’avoir près d’elle, tu n’aurais pas remis les pieds ici. Tu sais, notre escalier porte malheur. Elles sont sorties de la salle de bain, monte à ton tour. Il faut que je m’absente un quart d’heure.

-Tu crains de ne pas pouvoir résister à l’appel des sens et tu fuis la tentation. Méfie-toi, l’accumulation de restrictions et de refus des plaisirs sexuels va constituer un mélange explosif et le jour où tes digues de vertu céderont tu seras emportée par le flot de tes désirs refoulés. Tu devrais ouvrir une vanne de temps en temps. Monte t’amuser avec nous, ça te décoincera et tu te sentiras neuve et libérée.

Monte et fiche-moi la paix avec ton éternelle rengaine. Va. Ne me fais pas regretter de m’être laissé attendrir. C’est la première et dernière fois.

Il prend une douche, se dirige vers la chambre d’amis. Anne, sort et abandonne la maison à ses amis. A pas feutré, en évitant la cinquième marche qui grince, me voici derrière la porte entrouverte de la chambre d’amis. Ils n’ont pas perdu l’espoir d’attirer Anne.
Sylvain doit se trouver derrière cette porte, assis ou debout. Je ne vois que le lit.
J’ai du retard, les bisous et caresses sont terminés. Cécile, la plus fine est allongée sur sa compagne Nathalie. Anne m’a déjà raconté cette histoire. Cécile, mariée à Jérôme, attend d’être enceinte pour quitter son époux inséminateur et pour prendre avec Nathalie un appartement où les deux jeunes femmes élèveront leur enfant. A ma connaissance c’est leur première rencontre sous mon toit. Elles se voient habituellement chez Cécile lorsque Jérôme est absent. Jérôme est transporteur routier, donc fréquemment absent.
A la position de la tête, elles s’embrassent. Les bras de la brune Cécile forment un arceau autour de la chevelure blonde de Nat. Les deux mains de Nathalie parcourent le dos offert à ma vue, des épaules au creux des reins, jusqu’aux rebonds de deux magnifiques fesses musclées mais sans graisse. Ces fesses sont en mouvement ascendant et descendant. La jambe gauche de Cécile s’est introduite entre celles de l’autre fille. Les bas-ventres en contact étroit avec la cuisse de chaque partenaire s’y frottent en une sorte de mouvement perpétuel. Les deux vulves se cherchent et s’excitent sur les cuisses. Quand Cécile appuie, force la pression en arquant ses reins, d’une poussée inverse Nat soulève son arrière train à sa rencontre.
Une plainte douce, comme un miaulement de chat s’accompagne d’une sorte de récitatif « non, non, non ». Cécile se rejette en arrière, sur le dos. Sous mes yeux les deux femmes se démènent en gémissant. En haut du lit, une tête blonde se tord vers le mur, le corps est en vrille. En position inverse un abdomen s’enfourche avec force sur le ventre de la blonde. Les jambes de l’une sont jetées vers les bras de l’autre. Quatre seins en contrepoint, ce sont bien deux femmes, sexe à sexe, hanches en furie qui voguent à la recherche de l’orgasme.
Je ne savais pas. Ou plutôt, je n’avais jamais vu. Mais je regarde. Je ne suis pas le seul voyeur. Sylvain, nu, s’est levé, s’approche du pied de lit et se penche. Il observe avec une curiosité de sociologue, d’anthropologue ou de logue quelconque devant la découverte du siècle. Plus elles frottent leurs bas-ventres, foufoune à foufoune, plus elles entremêlent leurs toisons brunes, plus elles gémissent, plus elles ferment les paupières mais ouvrent leur bouche, plus leur souffle s’enflamme. Ce lit c’est l’île de Lesbos, les tribades y murmurent de façon inintelligible les poèmes de Sapho. Ca existe, là, c’est fascinant. Deux mains ont saisi un mollet et tirent, tirent. Le chant saphique croît, enfle et curieusement les chattes arrachent aux filles échevelées de retentissants « non »à répétition. Deux yeux embrumés se sont ouverts, je reconnais Cécile. Mais elle ne me reconnaît pas. Hypnotisé, Sylvain se penche encore davantage

-Viens avec nous.

Il attendait, il est récompensé. Il contourne le bois de lit. Sans préméditation Cécile, Nathalie forment avec lui un triangle. Cécile tète le gland de l’homme, Sylvain embrasse le sexe de Nathalie dont la bouche est appliquée sur la vulve de Cécile. C’est une mise en bouche générale. Ils sucent, lèchent, mâchent, déglutissent, avalent, bougent, déforment en se tordant la figure géométrique à trois côtés. De l’horizontale elle passe insensiblement à la verticale. Couché sur le dos, Sylvain garde en bouche les grandes lèvres de Nathalie redressée en face de Cécile et Cécile s’introduit dans le vagin en eau la verge congestionnée du mâle. Elle vient de réaliser son rêve.

-Reste en moi, fais-moi un bébé.

Les filles enracinées sur l’homme l’ont assez échauffé, elles veulent en tirer la substantifique moelle.
Nathalie, pour encourager sa copine, subit la succion de la bouche masculine tandis que Cécile lance le galop final. L’issue sera la fécondation tant attendue. Elle veut arracher aux testicules la semence indispensable à l’aboutissement du projet. Et pour partager leur plaisir, les deux femmes unissent leur bouche.

J’entends le retour d’Anne. Il est temps que je me retire. Les bruits de vaisselle et de casseroles situent la maîtresse de maison en cuisine. Je vais me réfugier dans le séjour peu utilisé. Ce qu’elles sont bruyantes les copines. Là-haut on travaille dans la joie. Le sommier grince, zin, zin, zin, la voix de Cécile s’envole, l’alto de Nathalie l’encourage.

-Tiens bon, pompe, accroche-toi à mes épaules. Ca vient.

-Je pars, je crache, oh!!! Fait le receveur.

-Prends, donne, oui, non, encore, c’est bon.

Pas très logique. Je ne cherche plus à démêler les voix qui passent de l’hymne à l’amour à un chant de victoire et de satisfaction. Le prix du plaisir de Sylvain, c’est-ce don de sperme immédiat. En bas de l’escalier Anne s’impatiente

-Eh! Là-haut, vous aurez bientôt fini, mon café vous attend.

-S’il te plaît, viens nous aider. Oh oui, monte donc.

-Non, Julien va revenir. Je vous attends, faites vite, je verse le café.

Je quitte mon repaire. Je m’amuse à ouvrir et à refermer sans précaution la porte d’entrée, comme au théâtre. Anne apparaît au bout du couloir, une main sur la bouche

-Oh! Tu as fait vite aujourd’hui. Bonne prise?

-Non, rien de rien, j’aurais mieux fait de rester à la maison. J’entends bouger à l’étage. Qu’est-ce que c’est? Une femme qui jouit? Dis, j’entends des voix. Je vais voir

-Non, reste là. Deux amies m’ont demandé euh… de leur prêter une chambre. J’ai accepté. Et Sylvain s’est invité pour le café. Enfin, ils sont trois dans la chambre d’amis.

-Tu es descendue avant eux? Ca doit être formidable à quatre. Je vais en profiter.

-Non, je ne suis pas montée avec eux. N’y va pas, je t’en prie.

-Comment ça? Tu transformes notre maison en bordel et tu voudrais m’empêcher d’en profiter? Allez, viens avec moi, rejoignons-les et va pour l’orgie. Ca se passe chez nous, élargissons le cercle de nos relations intimes.

- Tu ne vas pas coucher avec Cécile? Nathalie n’aime pas les hommes.

-Cécile? Je la trouve mignonne. Elle a l’air d’apprécier ce que les deux autres lui font. Cette petite est à mon goût. Si j’avais décidé de te tromper c’est avec elle que j’aurais aimé le faire. J’en ai rêvé. Alors, si tu me la livres à domicile, à poil dans un lit, le plus difficile est fait! C’est bien elle qui cherche à se faire faire un enfant? Je vais prêter main forte à ce cher Sylvain. Entre parenthèse, il s’agit bien du receveur, le type qui te tripotait et qui avait si malencontreusement chuté? Je l’avais fichu à la porte et tu le ramènes ici, en secret. Tu aurais dû me dire que ce type te plaisait à ce point. Tu m’as pris pour un imbécile.

-Les deux filles l’ont embarqué, je n’ai pas su refuser. Mais je n’ai rien fait avec lui.

-Sauf que tu l’accueilles en mon absence, de peur de le voir rechuter. Tu tiens à sa bonne santé.

-Alors, Anne, tu montes. Viens donc t’amuser avec nous!

C’est Sylvain. Il appelle Anne. Ce qui n’est pas fait reste à faire.

-Tu vois, tu leur manques. Allez, mère maquerelle, amuse-toi avec tes clients. Tu coucheras avec celui qui t’attend et je m’occuperai à engrosser cette charmante Cécile.

Nouveau silence, interrompu par une nouvelle série de « non » et d’ « encore » des deux voix féminines. L’inconnue est plus grave et plus autoritaire, ce doit être cette Nathalie en pleine crise de convictions sexuelles sous l‘influence de monsieur le receveur. La voix tendre et douce de Cécile est émouvante. Je suis troublé.

-Ton cher Sylvain fait merveille. J’y vais. Tu as tort de t’en priver juste parce que je suis là. Il va croire que je veux le priver. La rumeur de ma jalousie maladive va repartir, si tu te retiens. S’il t’appelle, c’est parce que tu lui as donné des raisons d’espérer.

J’ai un pied sur la première marche. Anne me retient:

-Si tu montes, je te quitte. Tu n’as pas plus de raison que moi de te joindre à eux.

-C’est le monde à l’envers. Tu organises, en mon absence ça va de soi, des parties de cul dans notre chambre. Tu m’interdis de voir ou de participer: où est l’esprit olympique? Il y a des moyens plus simples de me quitter. Si c’est ce dont tu as envie, va, je ne te retiens pas. Tu me refuses ce que tu te permets. Au lieu d’avoir honte de tes égarements, tu décides de partir, comme ça, tout à coup: Tu as bien préparé ton coup.

Je monte, les complices applaudissent croyant à l’arrivée attendue de l’hôtesse. Dans le couloir, je croise une femme nue. En me voyant Cécile fait « oh! » Je fais « chut! ». Elle est belle, fine, adorable avec une main sur les seins délicieux et l’autre sur le pubis. Nous nous regardons, elle est étonnée? Surprise, elle rougit, traverse le palier et s’engouffre dans la salle de bain en faisant valser les deux hémisphères joyeux d’une croupe magnifique.

Sylvain garde le moral:

-Bon on fait des discours ou on fait l’amour? Ca commence à fatiguer. Vas-y. remue ton popotin, secoue-toi. Ma fille, j’avais bien jaugé ton appétit. Maintenant tu sauras la différence entre un homme et une femme. Mais, tu vois, les deux valent la peine. Encore?

Les grincements du sommier reprennent. Je suis arrivé durant une pose. Ca repart. Zin, zin, zin, zin geignent les ressorts de plus en plus malmenés. Nathalie entame à son tour l’hymne à l’amour.
Avec précaution j’ouvre la porte de la chambre. Je ne veux pas mettre fin prématurément au chœur à deux voix, à l’alternance de notes aiguës et de sons graves rythmés par le tempo endiablé du sublime fessier en mouvement sur le mât dressé. Je vois deux jambes poilues, avec cicatrices, entourées de part et d’autre par deux pieds mignons. La croupe agitée à la fente sombre, à l’œil borgne de cyclope, se soulève, dégage l’arrière rougi de la vulve le temps de distinguer une faible partie de la verge huilée puis s’écrase et s’applique avec rage sur le pubis de l’homme caché par le haut du corps de Nathalie. Le dessin harmonieux de la taille, des hanches, des reins creusés s‘inscrit dans ma mémoire. Le coquin va engrosser les deux amantes.

-Je viens.

Elle répond

-Je jouis! J’aime, je t’aime!

Cécile repasse, digne et indifférente derrière moi, une main sur la bouche. Elle s’interdit de donner l’alarme.

J’entre, je tousse. Ils se bloquent. Nathalie se jette sur le côté, yeux hagards. Dans les yeux de l’amant je lis l’effroi, la terreur. Il est à peine réparé. Il aime les femmes, mais hait les escaliers. Je me retire, descends silencieux, vais me rafraîchir le visage et, pendant qu’on chuchote à l’étage, je fixe les yeux d’Anne. Assise devant sa cafetière, en larmes elle attend.

-Je suis monté, j’ai vu. Tu fais comme tu veux. J’ai compris, tu tiens à ce genre de vie plus qu’à moi. Donc tu peux me quitter. Je ne comprends pas. Je suis arrivé trop tôt, sinon Sylvain pourrait se vanter de s’être payé trois femmes le même jour et qui plus est, dans la fameuse maison dont il s’était fait éjecter. On va de nouveau jaser.

Les trois comparses quittent la maison, sans avoir bu le café ni mangé la tarte achetée par Anne. Elle les a entendus descendre et les a raccompagnés à la porte.

L’étage est libre. J’y remonte. J’enrage. Je change les draps souillés, je m’enferme dans la chambre d’amis aérée. Je n’ai pas l’intention de coucher ce soir avec une entremetteuse ou une femme qui ne m’inspire plus confiance. Elle avait raison de craindre mon retour et de leur demander de faire vite.

Des explications, des excuses, des supplications, des demandes de pardon, des larmes, des promesses, des je n’aime que toi, des amour-toujours, des c’était la première et seule fois, des plus jamais, des je ne veux pas te quitter, des je regrette, des je n’aime pas Sylvain: ça ne pèse rien, c’est déchirant, mais ça n’efface pas le doute. Serait-elle restée en bas si je n’étais pas rentré si tôt. Je préfère m’enfermer dans mon mutisme, porte fermée, cœur fermé.

Au réveil, le lendemain matin, je suis seul dans la maison. Le soir je retrouve une maison vide. Anne a tenu parole. Je suis monté, elle m’a quitté.

Depuis Anne a trouvé refuge à la poste. Ca ne m’étonne pas outre mesure. Nathalie et Cécile sont venues plaider sa cause, m’ont expliqué qu’Anne avait cédé à leur demande et que Sylvain n’était pas prévu à l’origine. Il s’était accroché au train en dernière minute. Vous parlez d’un wagon de queue! Mais je n’avais pas rêvé, il se trouvait bien dans ma maison, par inconscience ou par défi. Cécile a quitté Jérôme. Cécile est venue seule elle m’a demandé de lui faire un enfant. Pour m’amuser, j’ai dit que je préférais le faire avec Nathalie. Elles sont venues à deux et pour me mettre en appétit m’ont rejoué « une journée à Lesbos » je les ai fichues à la porte. Cécile encore elle est venue me proposer une séparation à l’amiable de la part d’Anne. Anne tient beaucoup à ce que nous restions en bons termes; notre passé et nos heures de bonheur ne peuvent pas s’oublier; un malheureux faux pas ne doit pas tout gommer: nous devrions nous rencontrer, rester amis, nous voir plus souvent, garder nos cœurs ouverts et attentifs à l’amour jamais éteint. Même si nous divorcions nous aurions toujours des sentiments l’un pour l’autre. On ne peut pas séparer ce que Dieu a uni.

FOUTAISE! Qui a quitté la maison, qui a créé la séparation, qui est allé chez un autre? Qui parle de divorce?

Aux dernières nouvelles, Anne serait en seconde place sur la future liste du maire, elle a quitté Sylvain et trouvé un studio en ville. Geneviève a déménagé et s’est installée à la poste. Anne se partagerait entre le maire et Joël selon une rumeur grandissante, tantôt dans le cabinet de l‘un ou dans le bureau de l‘autre, tous deux meublés de confortables canapés. De bonnes âmes nourrissent mon imagination de toutes ces informations. On m’observe, on attend le jour où je vais réagir, où la violence reprendra le dessus.

Avant-hier Sabine m’a offert son corps de rêve pendant que le maire recevait Anne pour préparer les élections. Je n’ai pas fait la fine bouche, je n’ai pas demandé si j’étais le troisième ou le trentième usager. Sabine aurait voulu s’installer chez moi, sous prétexte qu’elle m’aime. Je trouve qu’elle aime trop de monde à la fois et successivement.
Mais ce fut une nuit mémorable. Ce corps épanoui, cette science du plaisir, ces orgasmes fulgurants, ces étreintes étouffantes, cette nature généreuse. Son mari libidineux n’apaise plus ses sens, il lui faut un servant plus jeune, plus « pétulant », plus exubérant, plus impétueux: moi, par exemple. Je me suis senti flatté et, en cette interruption inattendue d’un pénible célibat, j’ai étalé tout mon savoir faire pour son plus grand bonheur. Elle m’a rendu le goût de la jouissance, elle a réveillé ma sensualité, m‘a promis de renouveler une expérience aussi riche et satisfaisante. Je l’aurais comblée. Mais l’amour? C’était du sexe, une somptueuse vidange. Une vengeance aussi. Une satisfaction d’amour propre de savoir que la femme du maire m’appréciait alors que tout laissait supposer que le maire honorait mon épouse à la même heure. Sabine a un défaut rédhibitoire, ses petites lèvres pendouillent entre les grandes, ce n’est pas beau. Je n’aime pas l’impression de marché de l’occasion qui a trop servi.

Par un mot glissé sous ma porte, une inconnue m’a donné rendez-vous dans le bois ce soir. La rumeur dit-elle que je suis un bon coup? Elle ne m’est pas parvenue sous cette forme. Ma vie monacale éveille-t-elle la convoitise féminine? Mais après Sabine, un nouveau rendez-vous mystérieux ne saurait me laisser indifférent. La curiosité me pousse à m’y rendre. Qui ose? Un dessin fléché me conduit vers un bosquet connu. Qui est l’audacieuse? Son écriture m’est inconnue, ce n’est pas l’écriture de Geneviève, ni celle de Sabine, ni celle de la prétendue maîtresse du maire.

Je devrai me présenter vêtu de blanc, elle sera couverte de noir, portera un voile et l’enlèvera quand nous quitterons le bois, si nous le quittons ensemble. Elle m’attend depuis toujours, je suis l’homme de ses rêves, nous ferons l’amour sans échanger un mot.
C’est l’œuvre d’un esprit fantasque, d’une folle peut-être, ou un piège idiot, un guet-apens dangereux, une embuscade ridicule ou mortifère.
Qu’ai-je à perdre, j’ai tout perdu ce jour lointain en revenant de la pêche, mon amour, mes illusions, la femme de ma vie. Mon travail ne m’intéresse plus, mes distractions ne m’amusent plus. Il y a bien Sabine. L’improbable Cécile pourrait me plaire sans l’inséparable Nathalie, mais si c’est pour être un Jérôme bis. Non plus rien ne me retient. J’y vais comme on allait au poteau d’exécution, sans peur, sans goût, sans dégoût. Je verrai. Ca ne peut pas être pire que cette vie sans but, sans amour, inutile.

J’essaie de prévoir ce qui m’attend. Une tente aura été dressée. C’est invraisemblable, idiot. C’est fou. Une silhouette sombre m’accueillera, voilée, elle n’aura pas de faux comme la grande faucheuse, ne sera pas menaçante, son gant enveloppera ma main. Ce sera une femme, discrètement parfumée. Elle m’introduira dans l’obscurité de la tente, me guidera. Mon pied heurtera un corps mou. La main me fera asseoir. Un matelas pour lit d’une personne recevra nos deux corps. Je percevrai un mouvement dans ma direction, des cheveux frôleront ma joue, une main parcourra mon visage, le situera dans l’espace. Une bouche happera la mienne, m’embrassera avec douceur. Je dégusterai un souffle chaud venu des lèvres pulpeuses entrouvertes. Deux seins durs s’appuieront sur ma poitrine, me pousseront en arrière. Le baiser m’enivrera, ma tête chavirera, mon dos se calera sur le matelas. Les odeurs, le parfum, la salive, la chaleur de ce baiser tendre, léger mais prolongé à l’infini, ce que ce sera bon! Deux mains habiles, en douceur me découvriront la poitrine, me caresseront avec précaution, exploreront mon torse et y sèmeront des frissons. J’ai bien fait de venir. Si c’est l’heure de la délivrance, elle sera douce.

La bouche quittera la mienne, les mains desserreront ma ceinture, descendront, me dénuderont. Je serai nu, tout nu. Va-t-elle m’égorger? Des dents grignoteront la chair de mon cou. La chaleur humide de la langue parcourra ma poitrine, descendra. La pointe redessinera le creux du nombril. Et puis tout s’arrêtera. Un froissement d’étoffes tout proche précèdera le retour de la bouche sur mes lèvres et un corps nu, deux seins bien ronds et jeunes se colleront sur moi. Mes mains saisiront deux hanches, arpenteront des vertèbres mouvantes, caresseront une taille fine mais musclée. Ciel, j’entrerai en érection, mon gland se prendra dans une toison courte, sera conduit par une main sure, sans hésitation, droit vers deux lèvres: elles s’ouvriront sur un sexe mouillé, chaud, accueillant, tendu vers mon pénis bandé. Je m’y enfoncerai, j’y glisserai, je m’y perdrai.

C‘est la pleine lune. J‘ai trouvé le lieu du rendez-vous. Il n’y a personne, il n’y a rien, il n’y a aucun bruit. Une cruelle a profité de mon esprit égaré depuis le départ de ma bien aimée. On m’a posé un lapin, on s’est moqué de moi. Je peux retourner chez moi. Voilà le résultat du manque de sexe, les humeurs me montent au cerveau, je perds ma lucidité, je mords à chaque hameçon, je suis crédule, vulnérable et tout désigné pour devenir la risée de la ville. Parce qu’un jour j’ai voulu jouer au voyeur, parce que j’étais jaloux, parce que j’ai voulu avoir raison, parce que je n’ai rien voulu entendre des explications d’Anne. Anne qui m’a quitté, Anne qui me manque.

En haut de l’escalier, une forme noire couvre le sol: c‘est un grand drap. Je pousse la porte, je ne l’avais pas fermée, ne sachant pas si je reviendrais. Que fait devant ma porte cette espèce de burqa? Je peux aller faire ma nuit. La promenade dans l’air frais du soir oubliée, je m’endors. Le rêve me poursuit. La belle inconnue a quitté son étoffe noire. Sa main caresse mon visage, ses lèvres effleurent ma bouche. Je sens sur mes flancs le frôlement des mains qui retirent le drap. Depuis des mois je vis seul, depuis des mois je fais le même rêve. Une femme me rejoint dans ma chambre, me caresse et me fait l’amour. Certaines fois au sortir du rêve mon pyjama est mouillé du sperme perdu. Le passage de Sabine me lassait espérer des nuits plus sereines. La femme de mes rêves vient de pendre entre ses lèvres l’extrémité sensible de mon pénis. Elle me suce lentement, tendrement t je me sens enfler. Si ça continue, je vais de nouveau tacher mon drap. Je devrais me réveiller, sortir de ce rêve obsédant pour éviter l’accident. Je devrais, mais c’est si bon. La bouche est chaude, deux mains pèsent à la base du membre bandé.
Un corps se glisse contre moi, sur moi. Ma verge est happée dans un conduit humide et chaud. Cette fois j’ai l’impression d’une présence effective. Je lutte contre le rêve, je me tourne dans le lit, m’agite et me retrouve emprisonné dans deux bras qui m’étreignent avec force, les jambes prises en tenaille entre les chairs lisses de deux cuisses. Je suis en terre connue. Oui, c’est elle. C’est son corps aimé, c’est sa patience, c’est son souffle amoureux, sa bouche gourmande, ses mains qui me tiennent prisonnier plantées dans mes reins, c’est sa manière unique de plaquer son pubis contre moi, de s’offrir en arc pour une pénétration profonde.

Et je sais qu’elle le sait. Nous nous serrons, nous nous cramponnons, nous jouissons de cette union unique retrouvée. C’est elle, c’est moi, c’est nous. Nous sommes un seul corps animé d’une même envie, habité d’une seule vie, brûlant d’un même sang en ébullition, partageant les sécrétions à tous les niveaux. Il fait noir, mais nous nous voyons, nous nous sommes confondus. Le silence de la nuit couvre nos halètements, nos cris sourds disent la joie de nos sens et notre orgasme explose sans bruit, mais d’autant pus intense. Elle dessus, moi dessus, c’est anecdotique. La seule réalité c’est cette fusion des corps et la fusion des volontés. Se tenir, se retenir, se chercher au plus profond, se dévorer, se retirer pour mieux se pénétrer, perdre son souffle pour retrouver sa vie, le goût de vivre, l’envie de partager avec l’autre ses sensations, son plaisir: c’est une lutte, un combat, où s’affrontent les contraires, la douceur et la force, la rage et l’apaisement, le calme et les frémissements, où tout se résume en une seule expression venue du fond du cœur. On s’était interdit de parler, mais la parole à son tour se libère en un élan brutal et simultané, en un murmure éclatant de vérité, entre quatre lèvres encore soudées:

-Je t’aime. Je t’aime.

Je reviens à la réalité. Non je n’ai pas rêvé. Anne est là. Nous venons de faire l’amour, nous venons de nous dire: je t’aime.

-C’est toi, que fais-tu là? Je mourais de l’envie de ne plus te voir

-Tu es là. Je mourais de l’envie de te voir. Je ne peux vivre sans toi.

-J’avais juré de ne plus te toucher.

-J’ai juré de ne plus toucher que toi.

L’écho se moque de nous, déforme nos propos.

-Mais oui, après Sylvain, le maire, puis Joël, puis tous les autres, hommes et femmes sans distinction et tu as osé me piéger!

-Mais non, c’est faux!

-On me l’a dit, chaque étape m’a été narrée.

-La rumeur, toujours la rumeur. Tu te souviens. Oh, j’ai été sollicitée, on m’a tentée, on m’a tout promis, tout offert pour une nuit, une semaine ou pour la vie. J’ai refusé, toujours. On a inventé et raconté mes fantaisies, on m’a prêté généreusement des amours. Mensonges, calomnies, on a voulu me salir à tes yeux pour me désespérer, pour vaincre mon amour. Une erreur, une fois. J’ai tout détruit. J’ai déménagé, j’ai été hébergée, certains m’ont logé avec des arrière pensées. Personne, personne, m’entends-tu, ne peut se vanter de m’avoir eue. Ni Sylvain, ni un autre. Je t’assure, tu n’as rien d’autre à me reprocher. Alors, oui, j’ai osé. J’ai osé, parce que je t’aime.

- Trop tard, je ne suis plus digne de toi. Sabine…

-Je sais. Tu as couché avec elle. Mais c’est à moi que tu viens de dire: « Je t’aime » Si, tu l’as dit. Allez, dis-le encore:

-Je t’aime

-Plus fort

Cette nuit là, dans le voisinage on a dû nous prendre pour des fous en nous entendant crier des

« JE T’AIME »



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Histoire de Veilleur

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