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Matrone et Domina : Tullia, une patricienne hypersexuelle dans la Rome impériale » (43) : « Postface : que sont-ils devenus ? »

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Lue : 0 fois - Commentaire(s) : 7 - Histoire postée le 16/08/2023

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RESUME

« Matrone et Domina » est la reconstitution imaginée d’un livre perdu qu’aurait écrit Juvénal, écrivain romain : « La vie de Tullia », l’histoire d’une matrone romaine hypersexuelle de 46 jusqu’à son décès en 102, du règne de Claude à celui de Trajan.

Femme libre, érudite, à la beauté éclatante, Tullia a collectionné amants et maitresses, de Rome à Baïes, sans oublier un long séjour en Égypte. Tullia a connu de grands plaisirs et a échappé aux intentions meurtrières de Messaline, de Poppée, de Néron et de Domitien. Elle a vécu de grands amours et a été confronté à de grands malheurs, qu’elle a surmontés. Elle a été témoin et actrice des grands événements politiques de l’empire romain au Ier siècle de notre ère et a côtoyé de grands personnages, des empereurs, des impératrices et des princesses, des poètes, elle qui était passionnée d’histoire, de poésie et d’épigrammes érotiques. Elle a réalisé ses fantasmes et a donné libre cours à une libido exacerbée. Élevée dans la religion romaine, elle a été au service du culte d’Isis, avant de se convertir, sur le tard, au christianisme.

Cette postface a pour objet d’évoquer brièvement le destin des enfants de Tullia et de leur descendance et de quelques autres proches et personnages qui ont influencé son parcours.

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Dans notre récit, la plupart des personnages qui croisent la route de Tullia ont existé. La longévité de Tullia fait que presque tous ont disparu avant son décès en l’an 102 de notre ère, à 72 ans, âge très avancé pour l’époque. J’en ai identifié certains dont on ignore la date de disparition ou dont on sait qu’ils sont morts après notre matrone.

J’ai en particulier relevé trois femmes de l’entourage de Néron :

1. La première est Calvia Crispillina, qui est évoquée aux chapitres 24 et 26, comme participante aux débauches de Tullia et de Fausta à Baïes. De la même génération que Tullia, appartenant à la noblesse, elle jouit des faveurs de l'empereur Néron, exerçant au palais les fonctions de « maîtresse de la garde-robe impériale ». Ses contemporains la jugeaient cupide et rapace. Tacite l'appelle la « professeure de vice » (magistra libidinum) de Néron. Elle avait un grand pouvoir et une grande influence, puisqu'en 66 elle accompagna en Grèce Néron et sa troisième épouse Statilia Messalina.

En juin 68, elle trahit Néron, en soutenant la révolte de Galba et en incitant le gouverneur de la province d’Afrique, le propréteur Lucius Clodius Macer, à bloquer l'approvisionnement de Rome en blé, accélérant ainsi la chute de Néron. Pendant le règne d’Othon, l’opinion réclame que Crispillina subisse le même sort que Tigellin, l’ancien Préfet du Prétoire, qui s’est suicidé sur ordre du nouvel empereur. Mais Othon la protège et Crispillina se sort sans dommage de « l’année des quatre empereurs ». Elle épouse ensuite, le chevalier Sextus Traulus Montanus, ancien amant de Messaline, qui avait été épargné in extremis après l’affaire Silius (voir chapitre 20 : « mariage fatal pour Messaline »). On perd sa trace après 70, où elle cesse d’être une personne publique.

Calvia Crispinilla était également active dans le commerce et a connu un grand succès avec ses investissements dans le commerce lucratif du vin et de l’huile d’olive. C’est ainsi que plusieurs amphores d'huile d'olive ont été récupérées à Poetovio dans la région de l'Adriatique, portant des inscriptions avec son nom ou mentionnant les noms de Calvia et de Traulus Montanus ensemble. Deux de ses esclaves, Camulus et Quietus, sont mentionnés sur une inscription retrouvée près de Tarente. Plus tard, elle a joui d'une grande influence en tant que femme riche qui n'avait pas d'héritiers. Crispillina mourut riche et honorée. Nous verrons que cet héritage intéressera de très près Caius, le fils de Tullia, pas si vertueux qu’il le prétendait.

2. La deuxième personne proche de Néron que je voudrais évoquer est très différente. Autant Crispillina était une garce, autant Claudia Acté, la première maitresse de Néron est une personne lumineuse et douce. Quand je dis « première maîtresse », c’est sans prendre en compte Tullia, qui a initié le futur empereur et pas davantage les nombreuses prostituées des bas-fonds de Rome que Néron fréquentait lors de ses escapades nocturnes, entrainé par ses compagnons de débauche, comme Othon.

J’ai expliqué comment, aidée par sa fidèle servante Marcia, Tullia a aidé à mettre Claudia Acté sur la route de Néron (voir Chapitre27 : « Les amants de Baïes » et Chapitre 28 : « Les saturnales »). Tullia répondait alors à la demande de Sénèque, qui voulait canaliser Néron et diminuer l’influence d’Agrippine, sa terrible mère. Acté, qui avait été achetée comme esclave par Claude en 43 pour tenir compagnie à sa fille Octavie, avait 16 ou 17 ans quand elle devient en 55 la maitresse de Néron. Le jeune empereur a été très amoureux de la jeune affranchie grecque, songeant même à l’épouser en lui construisant un passé royal lié aux Attalides, les anciens rois hellénistiques de Pergame.

En 58, Acté est écartée au profit de la redoutable Poppée (voir chapitre 32 : « Ode à Vénus »), une des plus grandes ennemies de Tullia. Néron a pris soin de couvrir Acté de richesses et conserva pour elle une sincère affection, au point que la venimeuse Poppée ne s’en est jamais prise à elle. Les propriétés d’Acté à Velletri, Puteoli et en Sardaigne attestent de sa richesse considérable, accumulée alors qu’elle était la maîtresse de Néron. Supplantée par Poppée, elle quitte la scène impériale en possession d’esclaves et de propriétés. La résidence principale d’Acté est à Puteoli, à proximité de Baïes.

Ce qui est admirable dans la personnalité d’Acté, c’est sa fidélité. Après la mort de Néron, avec l’aide des deux anciennes nourrices de l’empereur, Eglogé et Alexandri, elle lui offre des funérailles dignes d'un Romain. Elle lui met une monnaie sous la langue et sur les yeux et brûle le corps sur un bûcher. Elle dépose ses restes dans une tombe des Domitii, la famille d’Ahenobarbus, le père biologique de Néron. On dit qu’elle paya 200.000 sesterces pour les funérailles de l’empereur déchu.

Acté fait partie des proches de Tullia et de Pomponia. C’est à la première qu’elle doit d’avoir retrouvé Néron en 55, alors qu’Agrippine l’avait écarté du palais impérial quelques années auparavant, pour qu’elle soit loin du jeune Néron. C’est Pomponia qui convertira Acté au Christianisme, laquelle, protégée par Néron, ne sera pas inquiétée pendant la grande persécution des Chrétiens après l’incendie de Rome. Il me plait d’imaginer la douce Acté assister au baptême de Tullia en 82 et de continuer à être sa fidèle et désintéressée amie.

On a retrouvé beaucoup d’inscriptions relatives aux esclaves et affranchis d’Acté, témoignages de sa générosité. L’épitaphe d’Acté, son inscription funéraire, a été retrouvée à Velitrae, ville du Latium où elle possédait une villa.

3. Pour en terminer avec les survivants de l’entourage de Néron, j’évoquerai enfin Statilia Messalina, que l’empereur a épousé en 66.

Statilia Messalina est, elle aussi, de la même génération que Tullia, puisque née en 35. Nous l’avons également évoqué comme participante des débauches organisées par Fausta et Tullia à Baïes, en particulier lors du scandale de la Bona Déa. Elle appartient à la haute aristocratie de Rome. Son premier époux est Marcus Julius Vestinus Atticus, consul en 65, avec lequel elle a un fils. Elle devient l'amante de Néron, déjà du vivant de Poppée. Si cette dernière, cruelle et jalouse de son emprise sur Néron, ne l'a pas fait tuer, c'est vraisemblablement parce qu'elle ne représentait pas une menace. Elle n'était pas vraiment ambitieuse mais faisait partie des « coquettes » de la haute société romaine. Cette libertine avait toute sa place dans l’évocation des nuits chaudes de Baïes.

Voulant se débarrasser d’un mari pourtant complaisant, Néron a poussé Vesticus au suicide, l’accusant d’avoir soutenu la conjuration de Pison. En mai 66, Néron épouse Statilia Messalina. Elle fut une impératrice discrète. Parce qu'elle n'en eut pas l'occasion ou parce qu'elle ne le désirait pas, elle ne prit jamais part aux affaires d'État. Lorsque le régime s'effondre, elle quitte discrètement le Palatin et laisse Claudia Acté veiller sur les derniers jours de l'empereur.

Le calme revenu, la veuve de Néron, reparaît dans la vie mondaine. Othon, éphémère empereur, lui propose le mariage. Elle refusa et finit sa vie, dans le calme, à Rome. Je la vois bien, devenue veuve, poursuivre son libertinage entre Rome et Baïes, dans la Villa de Julia, nièce de Fausta, qui a remplacé Tullia comme grande organisatrice des soirées de débauche.

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Je veux ensuite évoquer Domitia Longina, l’épouse volage de Domitien (voir le chapitre 42 : « Les délices du genre humain »). Nous avons vu que, convaincue d’adultère et exilée en 83, elle a été rappelée par Domitien, qui, pendant 7 ans, se partagera entre son épouse et sa maitresse, sa nièce Julia Titi.

Le 18 septembre 96, Domitien est assassiné lors d’une conspiration de palais organisée par des officiers de la cour. Le principal responsable fut le ministre Parthenius, amant de Longina, qui chercha à venger avant tout l'exécution du secrétaire particulier de Domitien, l’Affranchi qui a servi tous les régimes depuis Néron, Epaphrodite. Ce complot eut le soutien du Préfet du prétoire et ancien Préfet d’Egypte, Titus Petronius Secundus. Ceux qui se chargent d'assassiner Domitien sont Maximus, un affranchi de Parthenius, et Stephanus, un serviteur de Flavia Domitilla, la cousine de Tullia, elle aussi en exil. Longina a joué un rôle dans ce complot. Elle se sentait à nouveau menacée, humiliée par Domitien qui s’affichait avec ses maitresses, dont les filles de Tullia, Tertullia et Domitia. Longina ne parvenait pas non plus à obtenir le rappel d’exil de Tullia, malgré son âge et malgré le décès de son grand amour, la reine Bérénice. Domitia est alors tombée sur une liste de courtisans que Domitien comptait faire mettre à mort et elle a transmis l’information à son chambellan et amant Parthenius. Le corps de Domitien fut incinéré sans cérémonie par sa nourrice Phyllis qui mélangea ses cendres avec celles de sa nièce Julia au temple flavien. Le même jour, le Sénat proclama Marcus Cocceius Nerva empereur. Le Sénat, comme il l’avait fait pour Messaline et Néron, condamna Domitien à la « Damnatio Memoriae ».

En novembre 97, les prétoriens contraignirent Nerva à condamner et faire exécuter les responsables de l’assassinat de Domitien, Parthénius et Secundus. Malgré son rôle dans le complot, Domitia resta dévouée à Domitien même après sa mort. Vingt-cinq ans après son assassinat et malgré sa « damnatio memoriae » par le Sénat, elle se considère toujours comme « Domitia, épouse de Domitien ». Elle s’est cependant remariée avec un de ses amants, Tullus, le frère de Cnaeus Domitius Curvius Lucanus et par ailleurs amant de l’autre Domitia, la fille de Tullia. Ce qui fit scandale à Rome. Tullus meurt en 108, laissant Longina à nouveau veuve.

Pendant les années d’exil de Tullia, Longina n’a cessé d’échanger des correspondances avec son amie, à qui elle avait conseillé l’Achaïe, car province sénatoriale. C’est elle qui, la sachant alors à Carthage, l’informera qu’elle peut désormais rentrer en Italie, que tout danger est écarté. Longina sera souvent à Baïes, pour soutenir Tullia, qui a perdu tous ses proches. En tant que membre de la famille flavienne, elle soutiendra la demande, acceptée par Trajan, que les cendres de Tullia reposent aux côtés de Titus, dans le temple funéraire de celui-ci.

Domitia Longina mourrut paisiblement, entre 126 et 130. Un temple dédié à Longina a été construit à Gabii, dans le Latium, à 20 kilomètres à l’est de Rome.

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Tullia connut Marcus Ulpius Traianus (53-118), qui devient l’empereur Trajan en janvier 98. Elle a surtout bien connu son père, Trajan l’ancien, qui a le même âge qu’elle et décédera en 100. Trajan père a été le beau-frère de Marcia Furnilla, la seconde épouse de Titus et un des proches de Vespasien et de Titus, avec qui il a combattu dans la guerre juive, en tant que légat de la legio X Fretensis, à partir du printemps 67. Trajan l’ancien a aussi été un des amants de Tullia, lors de la période candauliste de Titus (voir le chapitre 34 : « La vie inimitable »), ce qui fut une manière pour Titus d’acheter le silence de son beau-frère. Trajan « l’ancien »fut aux côtés de Titus dans ses derniers moments et informa Tullia du tragique décès de son bien-aimé.

Tullia a suivi de loin la carrière politique et militaire du jeune Trajan. Elle sait surtout que Titus avait décidé de l’adopter, une fois marié avec Tullia, en même temps qu’il prévoyait d’adopter Caius, fils de Tullia. Il aurait eu à sa disposition deux héritiers, Trajan étant un militaire, Caius étant issu d’une longue lignée sénatoriale. Ce que Titus n’a pas eu le temps de faire, Nerva, successeur de Domitien, âgé et sans enfants, l’a fait, en octobre 97, du moins en faveur de Trajan. Il y fut contraint, après la sédition des prétoriens qui l’avaient obligé à exécuter les comploteurs qui avaient provoqué la chute des Flaviens.

Parmi les soutiens de Trajan, on trouve les sénateurs les plus influents : Lucius Iulius Ursus Servianus (46-136), originaire d’Hispanie (et beau-frère du futur empereur Hadrien), Caius Spurius Tullius, fils de Tullia et son beau-père Lucius Licinius Sura, Cnaeus Domitius Curvius Tullus, le beau-frère et amant de Domitia (fille de Titus et de Tulia) Sextus Iulius Frontinus (30-103) et Titus Vestricius Spurinna (24-101). Il s’agit de sénateurs conservateurs et qui, à l’exception de Caius, sont âgés. Trajan ne regagne Rome qu’à la fin de l’année 99, ayant passé deux ans à renforcer les frontières sur le Rhin et le Danube. En son absence en 99, Aulus Cornelius Palma Frontonianus et Quintus Sosius Senecio, originaire d’Hispanie et le principal conseiller de Trajan, sont consuls éponymes, le deuxième étant un des plus proches conseillers de Trajan et une des figures publiques les plus en vue sous son règne. L'empereur a placé Sextus Attius Suburanus Aemilianus à la préfecture du prétoire et ses hommes de confiance, Sura et Servianus, pour surveiller la Germanie.


Contrairement à Domitien, le règne de Trajan fut marqué par une coopération et une bienveillance envers les sénateurs. Trajan reprend aussi à son compte le projet de Titus, celui d’Optimus Princeps, d’autant que, marié à Plotine, il n’a pas d’enfants. Il a d’ailleurs la réputation d’être plutôt porté sur les hommes. Trajan n’a passé que six ans de son règne, de 107 à 113, à Rome. Dès le mois de mars 101, Trajan quitte Rome pour lancer ses campagnes de conquête en Dacie, qu’il mettra 5 ans à conquérir. À partir de 113, jusqu’à sa mort, Trajan mène une nouvelle guerre contre les Parthes, en Arménie et en Mésopotamie, donnant son extension maximale provisoire à l’empire romain. En 116, Trajan atteint donc le golfe Persique. Aucun empereur romain n’a été aussi loin à l’est, et aucun n’a autant étendu l’Empire.

Alors que Trajan est encore sur les rives de l’Euphrate, une révolte juive éclate en Mésopotamie, en Syrie, à Chypre, en Judée, en Égypte et en Cyrénaïque. Cette seconde guerre juive durera jusqu’en 135, sous le règne d’Hadrien. S’il n’a pas connu de près Tullia, Trajan sait, sans connaitre tous les détails, que la patricienne a beaucoup « compté » pour Titus comme pour son père. Il fera savoir à Juvénal que, dans ses « Satires » il ne doit en aucun cas faire allusion à la vie et aux frasques de Tullia, « par respect pour le divin Titus ».

Né comme Trajan à Italica en Hispanie, son successeur Hadrien (76-138), est le cousin germain de Titus. Orphelin de père à 10 ans, son tuteur est Trajan. À l'instigation de l'impératrice Plotine, il épouse Vibia Sabina. Sabine est la petite-nièce de Trajan. Cela fait de lui le plus proche parent mâle de Trajan, et donc le candidat idéal à la succession. Hadrien apprend la mort de Trajan le 12 août 117. Il est aussitôt acclamé par les troupes comme imperator. Pour autant, sa position est délicate : Trajan n'a pas voulu désigner officiellement de successeur, et il semble que son adoption soit une affirmation de Plotine. Sa première décision est de retirer les armées des nouvelles provinces, Mésopotamie, Assyrie et Grande Arménie. Hadrien s'attache à pacifier et à organiser l'Empire tout en consolidant les frontières — il est le premier empereur à organiser fixement le limes, et à appliquer une politique strictement défensive. Les généraux Cornelius Palma, Lusius Quietus, Publilius Celsus et Avidius Nigrinus, qui ont conduit Trajan à la victoire pendant son règne et qui pouvaient entrer en concurrence avec Hadrien, sont englobés dans un douteux complot « des quatre consulaires » et sommairement exécutés en 118.

Le couple d’Hadrien et de Sabine n'a pas d'enfant et le mariage est malheureux. Alors qu'elle accompagne son mari dans ses très fréquentes tournées en province, Hadrien lui porte peu d'attention et montre même ouvertement plus d'intérêt pour d'autres femmes mariées et des jeunes hommes comme Antinoüs. Hadrien adopte en décembre 136 Lucius Ceionius Commodus, qui reçoit alors le nom de Lucius Ælius Verus avec le titre de César. Lucius meurt en janvier 138. L'adopté final sera Aurelius Antoninus, plus connu sous le nom d'Antonin le Pieux, sur lequel nous reviendrons.

Il est à noter que, vis-à-vis des ouvrages de Juvénal, Hadrien adopta la même politique que Trajan, visant à protéger Tullia et Titus. Il alla même plus loin, en exilant Juvénal en Egypte. Nul doute que, se souvenant de la proximité de Tullia avec les Espagnols Sénèque, Martial, Quintilien et Trajan l’ancien, les deux premiers empereurs de la dynastie Antonine, eux-mêmes nés en Hispanie entendaient protéger la réputation de Tullia. Surtout que Juvénal avait établi la filiation entre la famille impériale et les familles de Tullia et de Fausta. Marc Aurèle descendait de Tullia, alors que la mère d’Antonin le Pieux était la fille adultère de Julia, nièce de Fausta. Des secrets que ni Hadrien, ni ses successeurs ne tenaient à afficher, au regard du parcours sulfureux de Tullia, de son amie Fausta et de la nièce de celle-ci, Julia. Il est à noter qu’Hadrien mourut à Baïes, la cité balnéaire dont Tullia fut la véritable reine pendant plus de cinquante ans.

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Nous terminerons cette évocation des personnages historiques par le plus grand poète de cette période, Martial, dont nous avons souvent parlé et qui, après avoir été initié par Fausta, fut l’amant de Tullia, grande amatrice de jeunes gens et des épigrammes érotiques du poète. Martial séjourna à Baïes pendant la période, de 54 à 57, où Tullia a été la reine incontestée de la cité. Il fut un témoin privilégié de ses frasques et en bénéficia, avant de devoir laisser la place à Titus.

De 64 à 98, Martial séjourne à Rome et est à la recherche constante de mécènes. Après la disgrâce et la mort de Sénèque et de son ami Lucain, il recherche d’autres protecteurs, comme le rhéteur Quintilien. En 80, à l'occasion de l'inauguration de l'Amphithéâtre flavien, il publie le « Liber spectaculorum » (Livre des spectacles) qui décrit les spectacles offerts et le dédie à Titus, qui lui accorde en récompense l'admission dans l'ordre équestre à titre honorifique, c'est-à-dire sans avoir la fortune (cens) requise, ce qui lui confère une certaine notoriété sans toutefois améliorer vraiment sa situation économique. Ne travaillant pas, sans revenu, comme beaucoup d'hommes libres de Rome, Martial est contraint de faire le « client » auprès d'un ou plusieurs « patrons » : c'est-à-dire de venir le saluer le matin en toge, l'accompagner éventuellement dans certaines de ses occupations, le tout en échange d'une somme d'argent fixe. C’est ainsi qu’en 92, Martial, dont il serait le protecteur, loue l’érudition et le rétablissement d’un autre Espagnol, Lucius Licinius Sura, le beau-père de Caius, après une grave et longue maladie qui avait affecté Sura. A Rome, Martial habite au troisième étage d'un petit appartement de location, près du Quirinal, suffisamment grand pour avoir quelques jeunes esclaves avec lui, dont un secrétaire et y recevoir à dîner. Il a des relations avec plusieurs personnages importants. Sénèque lui avait fait don d'une petite terre à Nomentum en Sabin. En 90, il achète ou loue un rez-de-chaussée avec jardin, toujours sur le Quirinal.

En 98, sous Trajan, lassé de Rome, dans une situation délicate après l'assassinat de Domitien qu'il avait couvert d'éloges, il retourne dans sa ville natale, à Bibilis en Hispanie, avec l'aide de Pline le Jeune, qui lui paie le voyage. Il s'installe dans une maison offerte par une admiratrice, Marcella. Il y vécut jusqu’à sa mort en 103, dans le regret de sa vie à Rome.


Les œuvres de Martial représentent quinze livres, numérotés de I à XV, soit 1 561 épigrammes. C'est, quantitativement, l'une des œuvres poétiques les plus importantes de l'Antiquité. Le sexe occupe une place importante dans les épigrammes de Martial. Martial utilise pour désigner les différentes formes de rapport sexuel et les parties du corps concernés un langage explicite qui l'a fait qualifier d'obscène. Ses épigrammes fournissent des informations précieuses sur la sexualité à Rome à cette période. Tullia a été à l’évidence pour Martial un grand sujet d’inspiration.

***

Nous en venons maintenant à la destinée des trois enfants de Tullia.

1. Caius : l’ambition, plutôt que les principes.

Au moment du décès de sa mère, Caius, son fils aîné, a 55 ans. Il a été élevé par son grand-père, le sénateur Marcus Tullius Longus, dans le rejet de Tullia et de ses frasques. Lors des obsèques du patriarche, son attitude a été glaciale envers sa mère. Révulsé par son mode de vie, il l’ignorera pendant de nombreuses années, jusqu’à une réconciliation au retour d’exil de celle-ci, en 75, pour complaire à Titus. Caius est convaincu qu’il est le fils d’un autre sénateur, Lucius Spurius Lurco, mari de Tullia, qui a disparu dans la répression du complot de Silius en 48. En réalité, Lurco, homosexuel exclusif, a fait concevoir « son » fils par un esclave, son mignon, Adonis.

Caius a succédé à son grand-père en 62, au décès de celui-ci. S’il se situe dans la lignée d’une longue tradition patricienne, Caius va se révéler très ambitieux et surtout très opportuniste. Sous Néron, sans être un dénonciateur, il soutient, comme son beau-frère Lucius Atius Crassus, l’empereur dans la répression de la conjuration de Pison, même quand sa mère est proscrite et échappe à la mort qu’en fuyant en Égypte. C’est sans états d’âme qu’il soutient successivement les 4 empereurs qui se succèdent au cours de l’année 69, Galba, Othon, Vitellius et Vespasien. Il s’associera plus tard, sur l’insistance de Pomponia, amie de Tullia, à la démarche visant à obtenir la fin de l’exil de celle-ci en Egypte. Caius s’était rapproché de Titus, l’homme fort du nouveau régime, qui a pris sous sa protection les enfants de Tullia. Alors qu’il est un orateur réputé au Sénat, qu’il a une situation matérielle intéressante, ayant hérité d’une partie de l’immense fortune de Lurco, Caius rencontrait des difficultés à se marier, du fait de la réputation sulfureuse de sa mère. C’est Titus qui réglera ce problème, en lui faisant épouser en 73 Licinia, la fille de son ami le sénateur Lucius Licinius Sura.

Caius espérait être adopté par Titus à l’occasion du mariage prévu en 81 entre l’empereur et Tullia. La mort brutale de l’empereur empêcha ce projet d’aboutir. En apparence, Caius se situait dans l’héritage de la pensée stoïcienne de son grand-père Marcus et défendait au Sénat la rigueur morale, réclamant l’application des lois d’Auguste envers les femmes convaincues d’adultère et de stuprum. Il a longtemps cité sa mère comme exemple de ces femmes dévoyées qui méritent les plus sévères punitions. Pour le sénateur Caius Spurius Tullius, Pandateria et les iles Pontines sont des châtiments trop doux pour celles qui salissent la réputation de Rome. Quand un autre sénateur l’interrompt en lui disant « y compris pour ta mère ? », Caius répond : « César (Néron) a jugé ! »

Or le même défenseur intransigeant de la vertu fut pendant des années l’amant de Calvia Crispillina, qui avait participé aux orgies de Baïes et qu’on appelait la « professeure de vice de Néron ». En bon Romain traditionnel, Caius s’accordait le droit de tromper sa jeune épouse car c’est seulement l’adultère féminin que ces conservateurs condamnaient. Et puis Crispillina était restée une belle femme, peu importe qu’elle ait l’âge de sa mère. Quant à Crispillina, avoir un amant de presque vingt ans plus jeune qu’elle la flattait. Elle avait été compagne de débauches de Tullia, avant de soutenir Poppée dans sa haine de Tullia. Coucher avec le fils de l’ancienne reine de Baïes lui plaisait beaucoup. Cela permit à Caius de figurer sur le testament de la richissime Crispillina et d’accroitre encore sa richesse.

Le règne de Domitien marque un coup d’arrêt à la carrière de Caius, malgré son opportunisme. L’empereur a eu vent des projets de Caius et par ailleurs il hait Tullia. Et puisque Caius ne cesse de faire référence à son grand-père Longus, Domitien pousse l’ironie jusqu’à l’envoyer en exil en 91, là où Messaline avait jadis fait exiler Marcus, à Tomes, en Mésie. Au regard du sort de nombre de ses collègues, Caius s’en sort bien. De retour à Rome après l’assassinat de Domitien, il reprend sa carrière sous Trajan, qui a failli comme lui, être adopté par Titus. Caius exercera les fonctions de questeur. Malgré l’amitié de l’empereur et le soutien de son beau-père Sura, qui décède en 102, sa carrière est lente, car Trajan privilégie ceux qui ont un cursus militaire.

Caius va alors confirmer qu’il n’a pas la rigueur morale de son grand-père Longus. Il cherche à se concilier par tous les moyens l’entourage proche de Trajan. De son mariage avec Licinia, Caius a eu un fils, qui hérite du prénom de son arrière-grand-père, Marcus et qui doit prolonger la lignée. Le couple aura en 90, une fille, qu’ils choisissent d’appeler Tullia, comme c’est la tradition dans une « gens ». Cette jeune fille va hériter de la sensualité et de la beauté de sa grand-mère. Quand Caius la surprend avec un esclave, il est d’abord très en colère et punira le malheureux esclave. Puis il voit le parti qu’il peut tirer de l’addiction de sa fille. Un choix surprenant quand on se souvient qu’il n’avait pas de mots assez durs au sujet de l’inconduite de sa mère !

Il commence par la marier en hâte et choisit un de ses clients, Marcus Antonius Gordianus, un riche et ambitieux plébéien, dont le petit-fils sera l’empereur Gordien Ier au IIIème siècle. Caius ne cache pas ses intentions à ce Gordien. Il lui dit que « Tullia est une putain, comme l’était sa grand-mère. Elle peut favoriser notre carrière. ». Complices, le mari et le père vont se servir d’elle, sans scrupule, en la jetant dans les bras de ceux qui comptent dans l’empire et en particulier le plus proche conseiller de Trajan, Quintus Sosius Senecio. Pour Caius et Gordien, peu importe les moyens, seule compte c’est leur carrière.

Quant à Tullia la jeune, elle n’y voit que des avantages, pouvant donner libre cours à sa libido. La jeune femme a toujours été très proche de sa tante Tertullia, qui lui a raconté le parcours de sa grand-mère et qui l’encourage. La Villa de Baïes, qui avait abrité les débauches de Tullia, devient le lieu des frasques de sa petite-fille. Caius devient Préteur en 108, puis gouverneur de Chypre, en tant que propréteur. En 113, il est consul suffect. Quant à Gordien, il intègre rapidement l’ordre équestre, puis le Sénat, où ses collègues l’appellent « senator cum cornibus », littéralement le sénateur cornu !

Caius et Gordien poussent alors Tullia la jeune dans les bras d’Hadrien, héritier présomptif de l’empereur, qui est réputé pour sa bisexualité et qui trompe sans vergogne son épouse Sabine. Le rêve de Caius, en se servant de sa fille, est le consulat. Le calcul ne fonctionne pas. Hadrien se méfie de l’entourage de son prédécesseur, comme le prouve la liquidation de quatre des principaux généraux de Trajan dès 118. En outre, les relations d’Hadrien avec le Sénat sont mauvaises et ne cesseront de se dégrader. La carrière de Caius est terminée et il mourra en 128, la même année que Juvénal. Son fils Marcus lui succédera au Sénat. Loin de la gloire de ses ancêtres, il sera un obscur sénateur et n’aura pas de descendance. Avec lui s’achève une dynastie patricienne qui remontait à l’aube de la République romaine et qui prétendait descendre du 6ème roi de Rome, Servius Tullius.

Quant à Tullia la jeune, Gordien finit par divorcer d’elle, prétendant découvrir qu’elle le trompait ! Cela fut sans conséquences pour la jeune femme, car il y a bien longtemps que les vieilles lois d’Auguste sur l’adultère et le stuprum ne s’appliquaient plus !


2. Tertullia ou l’esprit de Baïes

Plus jeune de 18 mois que Caius, Tertullia était la fille de Tullia et de son amant le Docteur Vettius Valens. Tertullia Valentia Postuma a pu, grâce à une décision de l’empereur Claude, conseillé par l’affranchi Narcisse, bénéficier de la filiation et de la fortune de son père. Elle fut élevée avec dévouement par Lucia et Parsam, les premiers amours de Tullia. Tertullia a longtemps été le jouet des amants pervers, Julia, nièce de Fausta, et Lucius Atius Crassus, qu’elle épouse en 64 pour plaire à son amante Julia, dont elle est follement amoureuse. Elle donne naissance à un fils, qui sera dénommé Titus par référence au père de Lucius.

Exclusivement lesbienne au départ, Tertullia va tout accepter pour obéir à Julia. Le couple pervers offre la jeune femme au cours des orgies qu’organise Julia à Baïes. C’est pour Julia un jeu pervers, d’autant qu’elle connait les orientations sexuelles de Tertullia. Pour favoriser la carrière politique de Lucius, Tertullia sera aussi la maitresse de Domitien, pourtant ennemi de Tullia.

La mort de Lucius, en 95, va modifier la situation de Tertullia. Julia, qui a perdu le seul homme qu’elle n’ait jamais aimée, rejette désormais son amante et décédera peu après. Tertullia vit à partir de ce moment-là dans la villa de sa mère et accompagnera fidèlement celle-ci jusqu’à sa mort en 102. C’est elle qui héritera de la villa de Baïes. Tertullia va entretenir fidèlement la mémoire de sa mère et surtout prendre sous sa protection Tullia la jeune, même s’il lui déplait que celle-ci soit utilisée par Caius et Gordien pour favoriser leur carrière. Après le divorce de Gordien et de Tullia la jeune, Tertullia accueille chez elle la jeune femme, qui a hérité du tempérament de sa grand-mère. On ignore quand la fille de Vettius Valens est décédée.

3. Domitia et la lignée impériale

Le destin de Domitia, la fille de Tullia, conçue par Titus mais que celui-ci n’a pas osé reconnaitre, est particulier. Âgée de 45 ans au moment du décès de Tullia, Domitia est celle qui lui ressemble le plus physiquement. Titus a veillé à son avenir, en la faisant adopter en 63 par Curtilius Mancius. Elle prend alors le nom de Domitia Curtilia Mancia. Puis il lui fait faire un très beau mariage en 73 avec le sénateur Cnaeus Domitius Curvius Lucanus. De ce mariage est née Domitia Lucilla, que l’histoire appellera « Lucilla Maior ».

Le mariage de Domitia, ou plutôt de Curtilia Mancia, de son nom officiel, est singulier. D’abord parce qu’il s’agit d’un mariage à trois, Lucanus partageant tout avec son frère Tullus. Pas seulement leurs biens en indivision, mais aussi sa jeune épouse, et ce dès la nuit de noces. Domitia ne sait pas lequel des deux frères a conçu sa fille Lucilla.

Le père adoptif de Domitia, Curtilius Mancius dispose d’une immense fortune. Il déteste son gendre Lucanus, mais n'a de descendance que sa petite-fille, Lucilla. Par conséquent, il fait mettre dans son testament qu'elle est son héritière si Lucanus renonce à ses droits sur sa fille. Pour que l'héritage puisse être perçu à la mort de Curtilius, Lucanus émancipe alors sa fille. Son frère Tullus adopte alors Domitia Lucilla, sa nièce, devenant son nouveau pater familias. Ainsi, à la mort de Curtilius Mancius, les deux frères, qui gèrent leurs biens en indivision, héritent bien de la fortune via leur fille et nièce, faisant fi des volontés du défunt !

Sans aller aussi loin que ne le fera Caius avec Tullia la jeune, les deux frères se servent de la belle Domitia quand leurs intérêts sont en jeu. C’est ainsi qu’elle sera, elle aussi, la maitresse de Domitien, heureux de repousser une tentative de séduction de Tullia en lui disant qu’il lui préfère ses filles, y compris sa protégée Julia Titi. Après le décès de Lucanus, tout en continuant à être la maitresse de Tullus, Domitia s’est remariée avec Lucius Catilius Severus.
Tullus, à nouveau consul suffect en 98, est un des proches de Nerva et l'un des principaux soutiens de Trajan. Il fait partie du cercle restreint autour du nouvel empereur durant son règne, aux côtés de consulaires comme Lucius Licinius Sura, le beau-père de Caius et Quintus Sosius Senecio. Il décède en 108 et son héritage revient à Lucilla Maior, la fille de Domitia, mais bénéficie aussi à l’empereur et à son conseiller Senecio, l’un des amants de Tullia la jeune.

Severus, le second mari de Domitia Curtilia Mancia, fera une très grande carrière, jalousé par son beau-frère Caius. Severus sera questeur en Asie, puis tribun de la plèbe avant de devenir préteur urbain en 99. En 104, il est légat de la legio XXII et consul suffect en 110, puis gouverneur de l’Arménie, de la Syrie, consul en 120, collègue du futur empereur Antonin le Pieux. Proconsul d’Afrique en 125, il est Préfet de Rome en 137.

Après le décès de Lucius Aelius Caesar, il espère alors succéder à Hadrien. Formidable destin que celui de Domitia, qui, comme sa mère Tullia avant elle, faillit devenir impératrice. Hadrien choisit Antonin le Pieux plutôt que Severus, bien trop âgé. Severus fait savoir publiquement qu’il désapprouve ce choix et tombe en disgrâce, relevé de ses fonctions. Severus voulait préparer le terrain pour son protégé le futur Marc Aurèle. Il mourra en 140.

Severus a participé à l'éducation du futur Marc Aurèle, aux côtés de Marcus Annius Verus, triple consulaire, grand-père paternel de Marc Aurèle. Dans ses « Pensées pour moi-même », Marc Aurèle remercie Catilius Severius pour ne pas l'avoir fait fréquenter les écoles publiques et d’avoir pu profiter ainsi des leçons d’excellents maîtres privés.

Hadrien impose à Antonin le Pieux l’adoption de Marc Aurèle et de Lucius Verus, le fils du César Aelius. Marc Aurèle épouse la fille d'Antonin, Faustine la Jeune, en 145. La mère de Marc Aurèle était Domitia Lucilla Minor, sa grand-mère Lucilla Maior et donc son arrière-grand-mère Domitia Curtilia Mancia. Il me plait de penser que l’un des plus grands empereurs romains, Marc Aurèle (121-180) descende de Tullia et de Titus !

Par son père, l’empereur Antonin le Pieux, Faustine la jeune est la petite-fille d’Arria Fadila. On se souvient (voir chapitre 34 « La vie inimitable ») que Julia, la nièce de Fausta, a eu une liaison avec le sénateur Cnaeus Arrius Antoninus, le grand-père d’Antonin le Pieux. De cet adultère, est née une petite fille, Arria Fadila, que l’épouse d’Antoninus, Servilla va reconnaitre comme son enfant, pour éviter le scandale. Julia a, en quelque sorte, été une mère porteuse. Faustine la Jeune, sans le savoir, descendait de la très débauchée Julia. On ne sera donc pas étonné, si on pense qu’il y a une part d’hérédité dans les comportements, que Faustine sera célèbre par ses débauches, dignes de Messaline.

Et Commode, le fils de Marc Aurèle et de Faustine aura donc dans son hérédité, du côté paternel la gens Tullii et Titus, du côté maternel, Julia, la nièce hypersexuelle de Fausta. Mais d’autres ont dit que cet empereur, qui fut un tyran qui n’avait rien à envier à Caligula, Néron et Domitien, avait été conçu non par l’empereur-philosophe, mais pas un gladiateur, un des nombreux amants de sa mère Faustine. Un jour que l’empereur, toujours complaisant car très amoureux de sa belle épouse, se laissa aller à une remarque acerbe, Faustine lui demanda s’il avait lu manuscrit de Juvénal au sujet de son ancêtre Tullia qui, précisa Faustine, « est, avec Julie, fille d’Auguste et Messaline, épouse de Claude, une source d’inspiration pour moi ».

Car Faustine joignait l'ambition d'une Agrippine aux débauches d'une Messaline. Elle trompait son mari avec des gladiateurs et des légionnaires. Comme Messaline, elle s’affichait avec des esclaves ou des marins et se prostituait. Ses débauches, à Rome, à Gaëte, à Ostie, à Baïes, furent, selon l’Histoire Auguste, ignobles et publiques. On comprend qu’une telle impératrice avait lu le manuscrit de Juvénal « La vie de Tullia, fille du sénateur Marcus Tullius Longus ». Après la disparition de Faustine en 175, le manuscrit disparait. Sur ordre de Marc Aurèle, qui ne voulait pas qu’on connaisse le passé de son aïeule ? Ou parce que Tullia avait inspiré les débauches de l’impératrice Faustine ?

***

Nous avons parlé des personnages, il y a aussi le devenir des lieux qui ont servi de décors à cette histoire et d’abord Baïes. Le sol de la région de Baïes repose sur un épais magma d’origine volcanique. Dès le IIème siècle, le secteur souffre de bradyséisme. Le bradyséisme désigne une remontée ou une baisse lente du niveau du sol, d'origine volcanique. Ce phénomène a été observé dans des caldeiras sur les champs Phlégréens en Italie. Les changements des niveaux du sous-sol provoquent un enfoncement des terres qui sont peu à peu émergées. La mer grignote ainsi les ports privés et les façades des luxueuses villas. C’est ainsi que les installations du grand port de Puteoli (Pouzzoles), où arrivaient toutes les marchandises et les voyageurs en provenance de l’ensemble du bassin méditerranéen se sont effondrées et ont disparu sous le niveau de la mer. Il ne subsiste que les restes de quelques monuments, dont l’amphithéâtre de Pouzzoles qui fut le troisième plus grand d’Italie, après Rome et Capoue.

Progressivement, tout ce qui faisait le charme du rivage de Baïes a été englouti par la mer, et la région fut désertée par cette riche aristocratie romaine qui en avait fait la réputation. Même les villas situées sur les hauteurs sont abandonnées. Les vestiges de la magnifique Villa de Tullia, « la Villa à Protiro », sont aujourd’hui enfouis dans la mer.

***

A la fin de son ouvrage perdu et que j’ai imaginé qu’il en était l’auteur, Juvénal écrit ceci au sujet de Tullia, reprenant à son sujet ce que disait l’historien Salluste à propos d’une autre matrone romaine :
« Cette femme, par la naissance et par la beauté, avait été gâtée par la fortune. Savante dans les lettres grecques et latines, sachant jouer de la cithare et danser plus agréable qu’il n’est convenable pour une honnête femme, elle était douée de bien d’autres talents qui sont les instruments de la débauche. Elle préférait tout à l’honneur et à la décence. Il aurait été difficile de dire ce qu’elle épargnait le moins, sa fortune ou sa réputation, elle était si enflammée de sensualité qu’elle sollicitait les hommes plus souvent qu’elle n’en n’était sollicitée. Mais son intelligence n’était pas sans charme : elle pouvait composer des poèmes, faire des mots d’esprit, user à sa guise d’un langage vertueux, voluptueux, provocant. En un mot, il y avait en cette femme beaucoup de finesse d’esprit, beaucoup de séduction. »

Au-delà de la condamnation morale, bien dans la ligne de Juvénal, quel plus bel hommage à la beauté, la culture, l’érudition de Tullia ?

***

BIBLIOGRAPHIE

1. Généralités

• Robert Graves : « Moi, Claude, empereur » (Gallimard traduction française 1964-1978 ; voir notamment tome 3 : « Le divin Claude et sa femme Messaline »
• Virginie Girod : « La véritable histoire des douze Césars » (Perrin 2019)
• Gérard Minaud : « Les vies de 12 femmes d'empereur romains. Devoirs, intrigues et voluptés » (L'Harmattan 2012)
• Joseph McCabe : « Les impératrices de Rome » (Omblage Editions, 2023)
• Paul-Jean Franceschini et Pierre Lunel : « Caligula » (Anne Carrière, 2002)
• Alberto Angela : « Empire » (Payot, 2016) : « un fabuleux voyage chez les Romains, avec un sesterce en poche »
• Alberto Angela : « Une journée dans la Rome antique » (Payot 2020) : « sur les pas d’un Romain, dans la capitale du plus puissant des empires »
• Alberto Angela : « Le dernier jour de Rome. La trilogie de Néron » (Harper Collins 2022)

2. Au sujet de Messaline

• Violaine Vanoyeke et Guy Rachet : Messaline (Robert Laffont 1988)
• Jacqueline Dauxois « Messaline » (Pygmalion, 2002)
• Philippe Delorme : Scandaleuses princesses (Pygmalion 2005)
• Jean-Noël Castorio : « Messaline, la putain impériale » (Payot, 2015)
• Le roman d’Alfred Jarry « Messaline, roman de l’ancienne Rome », disponible sur « ebook », sur Wikisource, mais aussi sous format papier, sur Amazon.

3. Au sujet d’Agrippine

• Pierre Grimal : « Mémoires d’Agrippine » (Editions de Fallois, 1992)
• Virginie Girod : « Agrippine, sexe, crimes et pouvoir dans la Rome impériale » (Tallandier 2015)

4. Sur la civilisation et la société romaine

• Paul Veyne : « Le pain et le cirque » (Seuil, 1976)
• Paul Veyne : « La société romaine » (Seuil, 1991)
• Paul Veyne : « La vie privée dans l’empire romain » (Seuil, 2015)


5. Sur le sexe, le pouvoir et l’amour à Rome

• Jean-Noël Robert ; « Les plaisirs à Rome » (Payot, 1994)
• Pierre Grimal : « L’amour à Rome » (Payot, 1995)
• Jean-Noël Robert : « Eros romain » (Les Belles Lettres, 1997)
• Catherine Salles : « Les Bas-Fonds de l'Antiquité » (Payot 2003)
• Géraldine Puccini-Delbrey : « La vie sexuelle à Rome » (Tallandier, 2007)
• Guy Fau : l’émancipation féminine dans la Rome antique (Les Belles Lettres, 2009)
• Catherine Salles « L'amour au temps des Romains » (First éditions, 2011)
• Joël Schmidt : « Femmes de pouvoir dans la Rome antique » (Perrin, 2012)
• Paul Veyne : « Sexe et pouvoir à Rome » (Tallandier, 2019)
• Virginie Girod : « Les femmes et le sexe dans la Rome antique » (Tallandier 2020)
• Monique Jallet-Huant : Femmes d’exception de l’histoire romaine (Presses de Valmy, 2014)


6. Esclaves et gladiateurs

• Joël Schmidt : « Vie et mort des esclaves dans la Rome antique » (Albin Michel, 2003)
• Monique Jallet-Huant : Plaisirs, combats et jeux du cirque dans la Rome antique ((Presses de Valmy, 2003)
• Anne Bernet : « Histoire des gladiateurs » (Tallandier, 2014)

7. Au sujet de Néron

• Eugène Cizek : Néron (Fayard, 1982)
• Philipp Vandenberg : Néron, empereur et Dieu (Robert Laffont, 1982)
• Hubert Monteilhet : Neropolis (Julliard, 1986)
• Pierre Grimal, Le procès Néron (Livre de poche, 1997)
• Hortense Dufour : Moi, Néron (Flammarion, 2001)
• Miriam T. Griffin : Néron ou la fin d’une dynastie (Folio, 2002)
• Joël Schmidt : Néron, monstre sanguinaire ou empereur visionnaire ? (Larousse, 2010)
• Catherine Salles : Néron (éditions Perrin, 2019)



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Histoire de OlgaT

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Commentaires du récit : Matrone et Domina : Tullia, une patricienne hypersexuelle dans la Rome impériale » (43) : « Postface : que sont-ils devenus ? »

Le 17/10/2023 - 06:59 par OlgaT
@ Merci Micky! @ merci ma belle Nana. Cette série historique et érotique était une première tentative. Si tu peux, prends le temps de la lire depuis le début, ça devrait te plaire et t'émoustiller. Comme on dit "toute ressemblance avec un personnage existant n'est pas fortuite". J'aurais aimé vivre à cette époque de liberté sexuelle. Je suis en train d'écrire une autre histoire fictive, "les mémoires de Faustine", l'épouse très salope de l'empereur romain Marc Aurèle. L'objectif est de le diffuser sous forme d'ebook. Bises
Le 17/10/2023 - 06:45 par nana08000
Tu devrais écrire des romans ma chérie, tu es vraiment douée. Je t'adore
Le 13/09/2023 - 14:18 par Micky
Je lis et commente avec retard (et élogieusement) ce nouvel épisode de l'incroyable saga de Tullia et ses compatriotes romains. Il suffit de lire la bibliographie pour comprendre qu'elle est le fruit d'un travail remarquable, qui mériterait une plus ample diffusion.
Le 17/08/2023 - 19:29 par OlgaT
@ Didier, tous tes commentaires confirment que tu as lu attentivement les chapitres et que tu as travaillé tes commentaires avec le plus grand soin. C'est pour moi, en tant qu'auteure, la plus belle des récompenses
Le 17/08/2023 - 19:16 par DBHB24
Olga, Je tiens à te remercier pour ce commentaire qui me touche profondément. Saches que ce fut un véritable plaisir pour moi de rédiger et de déposer ces commentaires qui se devaient d’être travaillés afin de souligner ce formidable travail de qualité que tu as fourni pour nous livrer cette merveilleuse saga, qu’en tant que passionné d’Histoire, j’ai aimé « dévorer » et que je regrette déjà… A mes yeux, tu es totalement « pardonnée » pour ce chapitre qui apporte de bonnes précisions historiques et une excellente conclusion à ta saga. Enfin, au regard des textes de Juvenal et de Salluste, j’aime aussi à penser que notre chère Tullia ai réellement existé. Didier
Le 17/08/2023 - 17:16 par OlgaT
@ Didier, l'occasion m'est donnée de saluer la qualité de tes commentaires, qui sont particulièrement travaillés et témoignent de ton intérêt, je dirais même de la passion avec laquelle tu as suivi les différents chapitres. Je tiens à t'en remercier publiquement et chaleureusement! Les lecteurs et lectrices ne m'en voudront pas si ce chapitre n'a pas de contenu érotique, contrairement aux précédents (la plupart d'entre eux en tout cas), cette série voulant combiner histoire, personnages réels et fictifs avec un cadre érotique, quelquefois assez "hard" pour reprendre un terme consacré. Mais cette "postface" éclaire l'ensemble de la série, en le rattachant à l'oeuvre de Juvénal, à partir des témoignages du poète Martial et du rhéteur Quintilien. Qui sait si la belle et sensuelle Tullia n'a pas, au final, existé?
Le 17/08/2023 - 12:01 par DBHB24
Olga, C’est une très bonne postface, où tu y évoques aussi bien des personnages fictifs que des réels et leurs liens avec ta saga et Tullia. Ce chapitre est très historique, avec ces deux parties très ciblées, et avec comme conclusion cet excellent texte de Salluste qui pour moi est une bonne épitaphe pour Tullia. J'aime bien ce focus en première partie sur ces femmes que sont Calvia Crispinilla, Acté, Statilia Messalina et Domitia Longina. Il en va de même pour l'évocation des règnes de Trajan et d'Hadrien. Tu y fais également un très bon rappel de la vie et de l’œuvre de Martial. Je trouve excellente cette seconde partie, avec la description de la vie des trois enfants de Tullia, où tu nous livres de très bons détails sur leurs vies et leurs descendances. Pour ses deux filles, Tertullia et Domitia, elles n’auront été que les objets sexuels de leurs conjoints qui les utilisèrent pour leurs propres ambitions. Quelle surprise cependant pour Caius qui cache donc bien son jeu et a un double visage. En effet, d’'un côté il a dénigré officiellement sa sulfureuse mère, mais de l'autre, Il a pratiqué l'adultère, et utilisé les charmes et la libido de sa fille pour son ambition personnelle. Caius donc n'est pas aussi "droit" que son grand père Marcus. J’ai trouvé très intéressant en final ces présentations généalogiques pour Marc-Aurèle, et de Faustine la jeune. Quel clin d’œil tu fais à l’Histoire une fois de plus…. Concernant ta théorie sur l’hypothétique manuscrit de Juvenal, j’ai bien apprécié ton allusion sur le fait de son utilisation par Faustine, pour justifier ses débauches et différentes frasques, mais aussi que ce serait Marc-Aurèle à l'origine de sa disparition pour la protéger. Pour finir, concernant cet excellent texte de Salluste, comme une épitaphe, il résume, traduit bien qui a pu être Tullia. Je trouve que tu ne pouvais pas mieux choisir, car il est bien approprié comme conclusion de ta postface. Ce dernier chapitre, est une ultime démonstration de tout ton talent d’autrice, avec ces mises en forme liant imagination et faits historiques. Enfin, merci également pour cette biographie exhaustive qui va pouvoir me permettre d’approfondir mes connaissances sur cette période de l’empire romain. Félicitations et merci. Didier

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